• J'ai crashé en plein vol

    Comment tu réagirais si tu apprenais que tu vas rester en fauteuil roulant tout ta vie ? Que tu as un cancer ? Que tu souffres d'une maladie incurable (il y en a tellement, qu'on ne va pas faire la liste) ? Ou juste une maladie douloureuse ? Souvent, on a une réponse toute faite. Certains, les plus forts peut-être, disent qu'ils se battraient jusqu'au bout avec détermination. D'autres, qu'ils seraient abattus sur le moment mais se relèveraient. En fait on n'en sait rien. On parle dans le vide. 

    Je me disais que je n'aurais pas la force de survivre à une terrible nouvelle, que mieux valait disparaître directement. J'ai toujours eu plein de soucis de santé, certains qui auraient fait vaciller plus d'uns, mais jamais de truc grave. Toujours la peur de ce truc grave mais heureusement, jamais !

    Et puis, on t'annonce que tes résultats d'analyse sont mauvais. Tu vas voir sur le net parce que, pour te rassurer, tu ferais n'importe quoi. Tu espères lire "oui, j'avais ça mais en vrai, c'est rien". J'ai trouvé tout et n'importe quoi? Normal. Des choses pas graves, des choses graves. Des gens qui expliquent mal, qui ne sont pas précis et qui n'apportent rien. Alors, j'ai paniqué. Sauf que moi, je panique vite. J'imagine le pire. Déjà, en 1992, quand j'avais la tête qui tournait de temps en temps, j'avais cru que j'avais une tumeur au cerveau. Mon médecin s'était fichu de moi en me disant qu'entre un vertige et une tumeur, il devait y avoir des centaines de trucs. Je m'étais sentie ridicule une fois que j'avais appris que c'était juste un manque de fer !

    Alors, c'est ce que je me suis dit. Il y a sûrement des centaines de trucs. Eh ben non. Il y en avait un. Celui dont je ne voulais jamais entendre le nom, celui que je fuyais bien plus que la peste. Même sur les réseaux sociaux, je ne partageais jamais les messages l'évoquant, au cas où. Un peu comme ce petit singe qui ne voit pas, n'entend pas et ne parle pas. On n'en parle pas, il n'existe pas. 

    Oh, je compatissais, évidemment. Qui ne le ferait pas ? Je compatissais maladroitement, comme tout le monde, un peu, sûrement. 

    Quand on m'a annoncé le verdict, mon monde s'est effondré. Tout mon monde. Plus rien n'était pareil. Je me demandais comment on fait le matin pour se lever en sachant que ça y est, on y est, on est dedans aussi, on fait partie de ceux qui sont touchés. Je me disais toujours qu'ils devaient voir les choses bizarrement après. Leur maison, leurs parents, leurs amis, leurs objets. Tout. Comme si l'annonce de cette maladie modifiait tout. Ou plutôt la vision qu'on avait. J'avais peur de ce premier matin. De cette première journée. Des premiers mots à dire. Banalités ? Pas banalités ? Silence ? Quoi ?

    Je me disais "et demain matin, qui je vais être ?" Oui, une sorte d'autre chose. Une sorte de moi parallèle, encore vivante mais pas pour longtemps peut-être. Même encore maintenant, après 15 jours, je regarde mes choses et elles ne sont plus à moi. Ou je ne suis plus moi. Je suis extérieures à elles. A part certains rituels dont j'ai un besoin incroyable : mes séries, mon ordi, mes jeux, mon téléphone, mon chat sur mes jambes (et pas ailleurs), le thé que ma mère me prépare le matin. C'était ma vie, ça le reste un peu. 

    Il paraît que j'ai de la "chance" dans mon malheur parce que celui dont on doit taire le nom n'est pas agressif. On va me l'enlever. Surveiller. Et je vivrai. Oui, je l'espère et la plupart du temps je le crois. Sauf quand il s'agit d'acheter de nouvelles chaussures ou un truc sympa. Je fais des économies remarquez ! 

    J'aurais pu me terrer dans un trou et ne plus parler à personne. J'en ai eu envie. Mon lit allait devenir mon compagnon jusqu'à l'opération. Personne ne saurait. Parler ? Mais de quoi ? Pour dire quoi ? Que j'allais m'en sortir ? Oui, sans doute mais on n'en sait rien. Il y a 15 jours, je ne savais pas. Rien. Plus rien. Apprivoiser la nouvelle prend du temps. De l'énergie. Je ne me sentais pas capable d'avoir cette énergie seule. Alors j'ai parlé. Ecouter les autres fait du bien, finalement. On s'accroche à chacun des petits mots qui donnent de l'espoir. Le moindre petit mot. Et on sombre au moindre mot négatif aussi. Comme la boule de flipper : elle rebondit sur les mots positifs et elle s'écrase quand c'est négatif. 

    On n'a pas envie d'en parler et en même temps c'est obsessionnel. Je n'ai pas envie de mourir mais j'ai peur. D'autres ont eu pire que moi, certainement. D'autres sont morts d'ailleurs. Les mots sont importants, capitaux même. Ils sont des petites bouées, des petites remise à flots, remise à soi : regarde, tu existes, tu es là, les gens te parlent, ils t'aiment. Ils sont sous le choc comme je l'ai été des dizaines de fois mais même s'ils sont maladroits, je m'en fous. Ils sont là ! Leurs mots sont là. Ils calment mon esprit dézingué. 

    Je suis sûre que des gens qui ont vécu des choses bien pires ont réagi bien mieux et je les admire ! Je n'en suis pas jalouse. Je les admire. J'y arriverai peut-être après aussi. Mais peut-être qu'on ne se souviendra que de ma faiblesse. Disons que pour le moment, je fais de mon mieux et que c'est déjà pas si mal, je trouve ! (un compliment, oui, ça ne fait pas de mal)

    Il paraît que c'est dans des moments comme ça qu'on reconnaît ses vrais amis. Un simple :"on pense à toi", "on est avec toi", ça suffit en fait. Pas la peine de longs discours.  Je ne suis plus avec moi alors si d'autres peuvent l'être, ils recolleront peut-être les morceaux que j'ai perdus en cours de route. Ceux qui m'accompagnent dans les bons et les mauvais moments depuis des années seront là, je l'espère. Je veux le croire et surtout, je veux me dire que si l'un des morceaux de moi que je ne reconnais plus trop, fait une connerie, se plante, oublie, rate, zappe, ces gens que j'aime et qui m'ont accompagnée depuis longtemps ne m'en voudront pas (sauf si je leur fais du mal mais j'ai autre chose à penser, hein !). Comment peut-on espérer de quelqu'un qui vient de se prendre la pire des claques de sa vie et qui se retrouve en mille morceaux puisse agir parfaitement ? Logiquement ? Intelligemment ? Comment peut-on s'imaginer que cette nouvelle n'a rien bouleversé du tout ? Et, pire que tout, comment peut-on imaginer ne pas pardonner à quelqu'un qui n'est plus qu'une boule de peur ? Il faut être forte sans doute. Ou bien ne pas trop déranger. Mais, j'ai failli ne plus déranger personne, du tout ! Est-ce que ça aurait été mieux ?

    Même si j'ai tort, même si dans 15 jours les choses seront calmées (elles le sont déjà un peu, par moments), j'ai explosé en vol ! Explosé. Je suis disloquée, brisée. Je grappille par ci par là des morceaux de ce que j'étais, de ce qui était bien en me disant que ce sera bien à nouveau. Après avoir appris la nouvelle, j'aurais pu sauter du pont, fracasser ma voiture, faire je ne sais quoi. Stupide ? Oui, car si je m'en sors, ça aurait été con. Ça m'a traversé l'esprit. Cet esprit déconstruit brutalement comme les Tours Jumelles le 11 septembre. Et puis, j'ai ramassé quelques morceaux et je continue à le faire. Avec vous tous qui êtes là !

    Selon le résultat final, selon plein de choses, il est possible que je ne redevienne pas tout à fait moi. Certains trouveront que ce n'est pas plus mal ! J'espère juste que je trouverai encore des gens pour m'aider à reconstruire mon puzzle, ou un autre, sans se dire que je suis une chochotte qui chouine pour pas grand chose. Une explosion, ça fait mal. Je ne suis pas aussi forte que je le croyais sans doute. L'ai-je cru même ? Il y a des gens à qui je tiens et avec qui j'ai envie de faire plein de choses encore. Quand tout ira mieux, quand tout sera derrière moi.

    Autour de moi, il y aura eu vos mots, rassurants quels qu'ils soient. J'ai besoin de vous, tous, même les plus discrets, même ceux qui me diront un simple "bonne chance, tout ira bien". Mais je ne serai peut-être pas à la hauteur, ou pas tout le temps. Je ne pourrai pas penser à tout le monde pendant que j'essaie de reconstruire mon monde à moi, celui que je veux retrouver très très vite avec vous tous dedans. Je déteste quand les choses changent. J'ai besoin de stabilité. Ma mère, mes amis et mes collègues sont ma stabilité. Je suis déstabilisée et je sais que la plupart des gens sauront le comprendre et ne m'en voudront pas. 

    Je vous tiens au courant dès que possible. 

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 3 Juillet 2020 à 07:24
    J'ai ressenti ça quand on m'a annoncé le myélome. Le mien est indolent, c'est un compagnon silencieux et menaçant. C'est pas lui qui me fait peur mais la vilence des traitements qu'ils voudront m'infliger... Tu as raison d'en parler. Parler c'est évacuer, affronter. Tu es une battante et passé ce moment d'incertitude tu vas relever le gant. Et gagner. Allez vas-y fous lui la pâtée. Bises
    2
    Vendredi 3 Juillet 2020 à 08:11

           Je vis avec le cancer du pancréas au dessus de ma tête et il me faut être vigilante chaque instant et le suivi me stresse mais je crois pouvoir dire que je suis battante et pour m'aider justement j'ai mon blog!Parce que je suis faible aussi....et je ne jugerai personne qui soit faible parce que nous sommes "humain"!

    Quand il m'arrive une nouvelle tuile,il faut que je la digère puis je repars brave petit soldat,souvent cahincaha  et si je fais de l'humour c'est mon combat!

    Actuellement j'ai un lichen buccal ,une somme de souffrances bien réelles et j'ai perdu le goût des aliments mais JE GAGNERAI et TU VAS GAGNER,dis le toi,répètes le toi!

    De gros bisous t'accompagnent.

    Sabine

      • Vendredi 3 Juillet 2020 à 23:24

        Merci pour tes mots. Courage. 

        Le pancréas fait tellement peur aussi. 

        Bisous.

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