Nous étions le 11 mars 1978, il devait être aux environs de 16h... J'avais 7 ans et je venais d'apprendre la mort de Claude François. En allumant la télé, en noir et blanc à l'époque, je visionnais les images de ce clip d'"Alexandrie Alexandra", son dernier succès. Quelques jours auparavant ma mère m'avait dit qu'elle ne m'achèterait sûrement pas le disque de cette chanson et puis elle avait ajouté que si Claude François continuait à chanter ce type de chansons "disco" ça ne marcherait plus pour lui... Ma mère est fan de Tino Rossi, ceci explique sans doute cela... Je ne comprenais pas trop car moi j'aimais bien "Magnolias for ever" et "Alexandrie"... Mais le conflit des générations, je ne connaissais pas encore ou du moins je n'en avais pas encore conscience. Et puis j'ai appris la mort de Claude. Lorsque ma mère me l'a annoncée, j'ai ressenti quelque chose d'étrange... comme si on m'arrachait une partie importante de moi-même. Pourtant, je ne savais pas que j'étais fan à ce moment là. Bon, j'avais dit que je me marierais avec ce chanteur lorsque j'avais 4 ans mais entre temps, j'étais passée à autre chose et j'avais même un gentil petit fiancé à l'école... Il était blond comme les blés, il avait de magnifiques yeux bleus et s'appelait Didier... Un jour, il avait eu un oeil au beurre noir à cause d'un "vilain" garçon qui l'avait frappé et moi, j'avais eu envie de le consoler après ça, de le protéger... Alors, Claude François n'était sans doute plus qu'un vague souvenir de jeunesse... Et pourtant, ce samedi 11 mars, ma vie a basculé. J'aurais voulu pleurer en apprenant sa tragique disparition mais, je trouvais ça ridicule... On ne pleure pas pour un chanteur qu'on n'a jamais connu... On a un peu de peine, voilà tout. Moi, j'en avais beaucoup, je crois, mais je me disais que personne ne comprendrait si je pleurais... Alors, j'ai simplement regardé défiler le clip d'Alexandrie en me disant que peut-être c'était pas vrai qu'il était mort... La mort, quand on a seulement 7 ans, ça ne veut pas dire grand chose... et puis, Claude on le voyait encore à la télé donc, il y avait encore un tout petit espoir, non ? Ma mère m'a dit qu'il s'était électrocuté... là encore pour moi ça ne signifiait pas grand chose. Elle m'a vaguement expliqué, j'ai dû vaguement comprendre mais je crois que je m'en fichais pas mal de savoir ça. Je le regardais danser sur "Alexandrie Alexandra" et je me disais "faut pas pleurer, surtout pas, jamais..."
Quelques jours plus tard, au moment des vacances de Pâques, à l'école nous faisions une petite fête avant de partir et la maîtresse, une remplaçante (parce que notre instit était malade depuis plusieurs mois) nous passait des chansons à la mode... Nous dansions comme des fous. Moi, à un moment j'ai entendu Alexandrie Alexandra et ça m'a fait de la peine... Claude François était mort et c'était sa dernière chanson... le clip me revenait en mémoire, mes sentiments aussi. Mais pourquoi tant de peine pour ce chanteur ? Je ne comprenais pas... Et soudain, la remplaçante est venue nous annoncer une nouvelle... Nous, on s'est dit qu'elle venait nous dire que notre instit allait revenir après les vacances... On l'espérait depuis tellement longtemps. Mais elle nous a dit non avec un drôle d'air... Et là, un élève s'est levé et a dit "Il est... mort ???" et là, elle a dit "Oui, il ne reviendra donc plus jamais." Quel choc ! Il était malade mais on nous avait toujours dit qu'il reviendrait. Et là, définitivement, comme Claude François, il ne reviendrait plus jamais. A 7 ans, on ne sait pas trop ce que veut dire "jamais", pas plus que "toujours" d'ailleurs, mais on sent dans ce "plus jamais" tellement de gravité, tellement de douleur, tellement d'implacable qu'on se dit que "plus jamais" on ne voudrait entendre ces mots... parce que savoir qu'on ne verra plus jamais tous ces gens qu'on aimait c'est intolérable et ça fait tellement mal...
Et puis après, des "plus jamais" il en arrive de plus en plus comme autant de coups de poignard qu'on encaisse encore et encore au point que parfois, comme la chanson de Balavoine j'aimerais "partir avant les miens" pour ne pas "hériter de leur flamme qui s'éteint". Souffrir ou faire souffrir, tu parles d'un choix ! Le temps qui passe nous fait comprendre de mieux en mieux la signification de l'expression "plus jamais" mais elle n'est pas plus acceptable pour autant. On la garde toujours en soi et les blessures qu'elle provoque ne se ferment jamais vraiment. Jamais.