• On n'oublie pas. Le traumatisme est là. Hier, j'ai entendu dans une série que lorsque l'annonce du cancer était faite, on basculait dans l'après, un après qui ne serait plus jamais pareil. Je suis partie ce matin du 18 juin pour faire des examens. C'était encore l'avant. Et vers 11 h, j'ai basculé dans l'après. 

    Aujourd'hui, je vais bien. Je n'ai pas eu de traitement. Mon 2e rein fonctionne moyennement mais ça suffit. Sauf qu'à cause de lui, on ne peut pas faire de scanner avec produit de contraste et donc on garde le doute : et si des cellules cancéreuses étaient parties se promener ailleurs ? Et si un autre cancer était en train de se développer ? Et si tout allait bien ?

    Quelquefois, je me dis que ça a été trop "rapide". 2 mois. On surveille maintenant tous les 3 mois et on surveillera pendant 10 ans. J'espère qu'on ne trouvera rien. Je vis normalement, hormis cette épée de Damoclès. 

    Je profite de chaque instant. Même des conneries de la vie. Je marche, je regarde la nature. Beaucoup de choses me passent au-dessus désormais. Je ne me prends plus la tête pour des bêtises. Je suis angoissée par moments. Je me sens forte à d'autres moments. Parfois, je me dis que je suis sûre d'avoir vaincu ce machin. D'autres fois, je me dis qu'il est là, qu'il se planque et qu'il attend son heure. Qu'à un moment, on m'annoncera qu'il est revenu. J'aimerais qu'on me dise que je suis tranquille mais je sais que ça n'arrivera pas. 

    Chaque réaction de mes médecins me rassure ou m'effraie, selon. Chaque nouvelle analyse, pareil. La dernière fois, le chirurgien a écrit, au sujet du scanner "excellente nouvelle" alors, je m'accroche à ça même si juste après il a précisé qu'on ne sait jamais, qu'il y a peut-être une saloperie microscopique qui est en train de se développer en douce. 

    J'ai malgré tout plus de hauts que de bas et je me dis que dans l'ensemble, pour le moment, j'ai eu de la chance. 


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  • C'est bizarre une vie entre parenthèses. C'est ce que je vis depuis le 18 juin. Depuis que ce docteur est entré dans la chambre de la clinique en disant "vous avez un cancer rénal". Après le choc, le traumatisme, l'idée de mourir comme C. Jérôme, il y a eu l'opération le 9 juillet. Je n'ai plus qu'un seul rein. Sera-t-il capable de bosser pour deux ? On ne sait pas. On espère. Je n'ai pas eu les résultats de la biopsie, l'ana path comme ils disent. Je l'aurai mardi, le 11. 3 possibilités : c'était bien cancéreux au niveau du rein et on a bien fait de l'enlever mais les ganglions étaient juste inflammatoires, tout était atteint et il reste un ganglion qu'il faudra traiter je ne sais pas comment, soit c'était juste une inflammation du rein qui a provoqué des ganglions. Parce que mon kyste de 15 ans, pourquoi il se serait transformé ?

    Donc, après le 11, soit le reprends ma vie presque pareil qu'avant et j'essaie de gérer cet épisode dans ma tête. Soit il se passe autre chose et je repars pour une nouvelle parenthèse. 

     


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  • Comment tu réagirais si tu apprenais que tu vas rester en fauteuil roulant tout ta vie ? Que tu as un cancer ? Que tu souffres d'une maladie incurable (il y en a tellement, qu'on ne va pas faire la liste) ? Ou juste une maladie douloureuse ? Souvent, on a une réponse toute faite. Certains, les plus forts peut-être, disent qu'ils se battraient jusqu'au bout avec détermination. D'autres, qu'ils seraient abattus sur le moment mais se relèveraient. En fait on n'en sait rien. On parle dans le vide. 

    Je me disais que je n'aurais pas la force de survivre à une terrible nouvelle, que mieux valait disparaître directement. J'ai toujours eu plein de soucis de santé, certains qui auraient fait vaciller plus d'uns, mais jamais de truc grave. Toujours la peur de ce truc grave mais heureusement, jamais !

    Et puis, on t'annonce que tes résultats d'analyse sont mauvais. Tu vas voir sur le net parce que, pour te rassurer, tu ferais n'importe quoi. Tu espères lire "oui, j'avais ça mais en vrai, c'est rien". J'ai trouvé tout et n'importe quoi? Normal. Des choses pas graves, des choses graves. Des gens qui expliquent mal, qui ne sont pas précis et qui n'apportent rien. Alors, j'ai paniqué. Sauf que moi, je panique vite. J'imagine le pire. Déjà, en 1992, quand j'avais la tête qui tournait de temps en temps, j'avais cru que j'avais une tumeur au cerveau. Mon médecin s'était fichu de moi en me disant qu'entre un vertige et une tumeur, il devait y avoir des centaines de trucs. Je m'étais sentie ridicule une fois que j'avais appris que c'était juste un manque de fer !

    Alors, c'est ce que je me suis dit. Il y a sûrement des centaines de trucs. Eh ben non. Il y en avait un. Celui dont je ne voulais jamais entendre le nom, celui que je fuyais bien plus que la peste. Même sur les réseaux sociaux, je ne partageais jamais les messages l'évoquant, au cas où. Un peu comme ce petit singe qui ne voit pas, n'entend pas et ne parle pas. On n'en parle pas, il n'existe pas. 

    Oh, je compatissais, évidemment. Qui ne le ferait pas ? Je compatissais maladroitement, comme tout le monde, un peu, sûrement. 

    Quand on m'a annoncé le verdict, mon monde s'est effondré. Tout mon monde. Plus rien n'était pareil. Je me demandais comment on fait le matin pour se lever en sachant que ça y est, on y est, on est dedans aussi, on fait partie de ceux qui sont touchés. Je me disais toujours qu'ils devaient voir les choses bizarrement après. Leur maison, leurs parents, leurs amis, leurs objets. Tout. Comme si l'annonce de cette maladie modifiait tout. Ou plutôt la vision qu'on avait. J'avais peur de ce premier matin. De cette première journée. Des premiers mots à dire. Banalités ? Pas banalités ? Silence ? Quoi ?

    Je me disais "et demain matin, qui je vais être ?" Oui, une sorte d'autre chose. Une sorte de moi parallèle, encore vivante mais pas pour longtemps peut-être. Même encore maintenant, après 15 jours, je regarde mes choses et elles ne sont plus à moi. Ou je ne suis plus moi. Je suis extérieures à elles. A part certains rituels dont j'ai un besoin incroyable : mes séries, mon ordi, mes jeux, mon téléphone, mon chat sur mes jambes (et pas ailleurs), le thé que ma mère me prépare le matin. C'était ma vie, ça le reste un peu. 

    Il paraît que j'ai de la "chance" dans mon malheur parce que celui dont on doit taire le nom n'est pas agressif. On va me l'enlever. Surveiller. Et je vivrai. Oui, je l'espère et la plupart du temps je le crois. Sauf quand il s'agit d'acheter de nouvelles chaussures ou un truc sympa. Je fais des économies remarquez ! 

    J'aurais pu me terrer dans un trou et ne plus parler à personne. J'en ai eu envie. Mon lit allait devenir mon compagnon jusqu'à l'opération. Personne ne saurait. Parler ? Mais de quoi ? Pour dire quoi ? Que j'allais m'en sortir ? Oui, sans doute mais on n'en sait rien. Il y a 15 jours, je ne savais pas. Rien. Plus rien. Apprivoiser la nouvelle prend du temps. De l'énergie. Je ne me sentais pas capable d'avoir cette énergie seule. Alors j'ai parlé. Ecouter les autres fait du bien, finalement. On s'accroche à chacun des petits mots qui donnent de l'espoir. Le moindre petit mot. Et on sombre au moindre mot négatif aussi. Comme la boule de flipper : elle rebondit sur les mots positifs et elle s'écrase quand c'est négatif. 

    On n'a pas envie d'en parler et en même temps c'est obsessionnel. Je n'ai pas envie de mourir mais j'ai peur. D'autres ont eu pire que moi, certainement. D'autres sont morts d'ailleurs. Les mots sont importants, capitaux même. Ils sont des petites bouées, des petites remise à flots, remise à soi : regarde, tu existes, tu es là, les gens te parlent, ils t'aiment. Ils sont sous le choc comme je l'ai été des dizaines de fois mais même s'ils sont maladroits, je m'en fous. Ils sont là ! Leurs mots sont là. Ils calment mon esprit dézingué. 

    Je suis sûre que des gens qui ont vécu des choses bien pires ont réagi bien mieux et je les admire ! Je n'en suis pas jalouse. Je les admire. J'y arriverai peut-être après aussi. Mais peut-être qu'on ne se souviendra que de ma faiblesse. Disons que pour le moment, je fais de mon mieux et que c'est déjà pas si mal, je trouve ! (un compliment, oui, ça ne fait pas de mal)

    Il paraît que c'est dans des moments comme ça qu'on reconnaît ses vrais amis. Un simple :"on pense à toi", "on est avec toi", ça suffit en fait. Pas la peine de longs discours.  Je ne suis plus avec moi alors si d'autres peuvent l'être, ils recolleront peut-être les morceaux que j'ai perdus en cours de route. Ceux qui m'accompagnent dans les bons et les mauvais moments depuis des années seront là, je l'espère. Je veux le croire et surtout, je veux me dire que si l'un des morceaux de moi que je ne reconnais plus trop, fait une connerie, se plante, oublie, rate, zappe, ces gens que j'aime et qui m'ont accompagnée depuis longtemps ne m'en voudront pas (sauf si je leur fais du mal mais j'ai autre chose à penser, hein !). Comment peut-on espérer de quelqu'un qui vient de se prendre la pire des claques de sa vie et qui se retrouve en mille morceaux puisse agir parfaitement ? Logiquement ? Intelligemment ? Comment peut-on s'imaginer que cette nouvelle n'a rien bouleversé du tout ? Et, pire que tout, comment peut-on imaginer ne pas pardonner à quelqu'un qui n'est plus qu'une boule de peur ? Il faut être forte sans doute. Ou bien ne pas trop déranger. Mais, j'ai failli ne plus déranger personne, du tout ! Est-ce que ça aurait été mieux ?

    Même si j'ai tort, même si dans 15 jours les choses seront calmées (elles le sont déjà un peu, par moments), j'ai explosé en vol ! Explosé. Je suis disloquée, brisée. Je grappille par ci par là des morceaux de ce que j'étais, de ce qui était bien en me disant que ce sera bien à nouveau. Après avoir appris la nouvelle, j'aurais pu sauter du pont, fracasser ma voiture, faire je ne sais quoi. Stupide ? Oui, car si je m'en sors, ça aurait été con. Ça m'a traversé l'esprit. Cet esprit déconstruit brutalement comme les Tours Jumelles le 11 septembre. Et puis, j'ai ramassé quelques morceaux et je continue à le faire. Avec vous tous qui êtes là !

    Selon le résultat final, selon plein de choses, il est possible que je ne redevienne pas tout à fait moi. Certains trouveront que ce n'est pas plus mal ! J'espère juste que je trouverai encore des gens pour m'aider à reconstruire mon puzzle, ou un autre, sans se dire que je suis une chochotte qui chouine pour pas grand chose. Une explosion, ça fait mal. Je ne suis pas aussi forte que je le croyais sans doute. L'ai-je cru même ? Il y a des gens à qui je tiens et avec qui j'ai envie de faire plein de choses encore. Quand tout ira mieux, quand tout sera derrière moi.

    Autour de moi, il y aura eu vos mots, rassurants quels qu'ils soient. J'ai besoin de vous, tous, même les plus discrets, même ceux qui me diront un simple "bonne chance, tout ira bien". Mais je ne serai peut-être pas à la hauteur, ou pas tout le temps. Je ne pourrai pas penser à tout le monde pendant que j'essaie de reconstruire mon monde à moi, celui que je veux retrouver très très vite avec vous tous dedans. Je déteste quand les choses changent. J'ai besoin de stabilité. Ma mère, mes amis et mes collègues sont ma stabilité. Je suis déstabilisée et je sais que la plupart des gens sauront le comprendre et ne m'en voudront pas. 

    Je vous tiens au courant dès que possible. 


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  • Mon cerveau, le matin, j'aimerais bien qu'il reste un peu endormi mais en général, mon trajet jusqu'au boulot ressemble à ça :

    "Ouh fait pas chaud, j'aurais dû mettre une écharpe... ah ouais, mais où elle est ? Et mes gants ? J'avais acheté des gants l'année dernière. Ils étaient bien. Faut que je les retrouve. Au collège, il fait froid. Je vais donner une dictée. Ah non, grammaire. Le cahier de grammaire c'est bien. Ouais. Ou une rédaction ? Cette chanson, j'aime pas, je passe. Merde, le feu est rouge. Ah tiens, des amoureux à l'arrêt de bus. Il a dû en voir des histoires d'amour cet arrêt de bus. Toute façon, ils sont sûrement plus ensemble. Bon, il avance, lui ? Quel boulet ! Une rédaction ? Non, en fait c'est pas le bon moment. Eh ben, il a pas froid lui, en t-shirt. L'été, je mets des t-shirts. C'est bien pour conduire aussi parce qu'on peut ouvrir la fenêtre de la voiture. Ah cette chanson, toute ma jeunesse. J'écoutais ça dans le noir. C'est marrant, je fais plus ça. Faudrait que je recommence.  Le rond-point, ça bouchonne. Ah non, le bouchon est dans l'autre sens. Ils n'ont pas de bol ceux qui arrivent à Brest. Moi, ça va sauf l'autre qui n'avance toujours pas. A midi, je mange ... un sandwich. Je vais pas m'embêter. J'espère qu'il n'y aura pas trop de monde à la photocopieuse. Et à 10h ? Un café, ça ira. Il pleut. J'ai des essuie-glace neufs, ça change ! Le bouquin des 4e... Il est dans mon sac. Qu'est-ce qu'il fout dans mon sac ? L'ophtalmo ! Il faudrait que je prenne rendez-vous. Ou alors, pour les nouvelles lunettes dont on voit la pub. Elles ont l'air pas mal du tout. J'adore cette chanson. J'étais à Alençon quand je l'écoutais. J'aimais pas Alençon. J'étais nulle comme prof. Si ça se trouve, je suis toujours nulle. En fait, j'en sais rien. J'étais convoquée chez le principal toutes les 5 minutes. J'ai jamais trop compris pourquoi. Les autres, c'est pas comme ça. Il m'a bien dit après que j'étais nulle comme prof. Je voulais pas faire prof, moi. Si j'avais pu être écrivain. Mais j'ai pas d'idées. Rien. Fini. Si je me posais un peu, peut-être. Mais j'arrive plus à me poser. C'est la vie moderne. Ou les ordinateurs. J'étais plus posée avant. Je crois. Je sais pas. Mon cerveau semble tourner à fond. Il va surchauffer si ça continue. Alors, pense à des trucs cons. Alençon, c'est loin. 20 ans. C'est loin. 20 ans aussi pour le reste. Pour mon meilleur souvenir. C'était là. Il y a 20 ans. Si j'avais su. S'il savait, lui, que je pense à lui tous les matins quand je vais au boulot. Il n'imagine pas. Il m'a oubliée. Il a sans doute raison. De toute façon, j'avais tous les torts. Et après, à Alençon, je pouvais plus réussir quoi que ce soit. A cause de lui. S'il avait été près de moi comme avant, ça aurait été différent. J'aurais peut-être pas été aussi nulle. Mais je m'en foutais tellement de ma vie à l'époque. Alors, le boulot... Je suis peut-être moins nulle maintenant. Il n'est toujours plus là mais je m'y suis habituée. Même si je pense à lui tous les matins. J'aime bien conduire. Ça me détend. Enfin, je crois.

      Les arbres, dans le noir, ça fait des formes. 80, ah ouais, c'est vrai, j'oublie toujours. L'essence. Ça va. J'ai le temps. Le café. Je sais plus si j'en ai d'avance. On verra. Mes photocopies pour jeudi, je vais les faire tout à l'heure. La Famille Formidable s'arrête après cette saison. C'est con, j'aimais bien. Toutes les séries que j'aime s'arrêtent. C'est marrant, c'est un peu comme une histoire d'amour qui se termine. Les personnages me manquent. Un peu comme lui. Il me manque toujours autant. Et lui, il a oublié que j'existais. Peut-être, parfois, quand il entend Claude François, il se souvient qu'il m'a connue. J'aimerais bien. Heureusement, il y a eu l'Amicale Claude François. C'est un bon souvenir et puis j'ai rencontré des gens bien. C'est grâce à Claude François.

    Il pleut plus. Les phares des voitures sont vraiment mal réglés. J'ai mal aux yeux. L'ophtalmo ? Oui, je prendrai rendez-vous. On verra. Est-ce que j'ai assez de croquettes pour le chat ? Je commanderai ! J'ai pas reçu mon colis. C'est bizarre. Les gens ne roulent pas à 80. Moi oui. Enfin, ça dépend. Si je pouvais, j'irai plus vite. J'aime bien. Allez, je rejoue cette chanson, elle est magnifique. mais triste. Il me manque. S'il savait comme il me manque. 

    Les pneus, faudra les changer. Après. J'irai voir les voitures neuves. Les automatiques, c'est cool quand même. Mais l'essence coûte cher. Le gilet jaune est dans le coffre. La nuit, on les voit pas sur les tableaux de bord. Avec les phares, ça fait rien. Le rond-point sera bloqué quand je vais rentrer. Comment je vais faire ? J'irai prendre du pain. Et mon sandwich. Sauf si ça bloque. Après, je ferai une sieste. Avant, cette route était plus chiante. C'était en 2003, la neige et l'accident. C'est comme les gilets jaunes, ça bloque. On arrive en retard. J'ai le numéro de téléphone du collège. Si je suis en retard. Ou alors, je pars plus tard. Le téléphone portable, c'est pratique mais ici ça capte mal, toujours. En première heure, j'ai des 5e. On va étudier un texte. C'est bien ça. Après, les 6e ? Ah oui, j'ai dit grammaire. Ou rédaction ? J'ai pas de sujet de rédaction. Faut rentrer les notes. J'espère que je serai à l'heure pour mon conseil de classe. C'est le 26. Après c'est le 10. Ou le 6. Je sais plus. Décembre. Déjà. Noël. J'ai commandé du champagne. Je ferai pas de sapin à cause du chat. J'ai mal au dos. Et après, on travaillera sur Aladin en 5e. Là, j'ai une rédaction. Pas en 6e. De toute façon, ils font trop de fautes, c'est pas lisible. Sur face de bouc, ça va y aller les fautes avec les commentaires sur les manifs. Pourvu que je sois pas bloquée trop longtemps. Je mettrai le téléphone en mode gps. Pour le pain, on verra. Au pire, j'irai à pied. S'il pleut pas. Ici, la route est mouillée. Avec le froid ça pourrait geler. Personne sur le parking ? Je suis en avance ? Ah ouais. Bon, allez, je fais mes photocopies. Je finis tôt aujourd'hui. Mais pas jeudi. Ah mais on doit aller au cinéma avec les élèves. Sauf qu'avec les bouchons. Ouais mais c'est en car. Ah ben c'est pire, en car. On va être en retard. Et si je peux pas rentrer ?...."

    C'est alors qu'arrive en général un collègue et que je me mets à discuter tranquillement... Il est 8h05 et je suis déjà fatiguée ! 


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  • Ces derniers jours, on a beaucoup parlé du harcèlement en milieu scolaire. J'ai lu pas mal de choses mais, comme d'habitude, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Les choses bougent et c'est tant mieux. Les gens parlent et c'est très bien. Il y a un numéro à appeler en cas de harcèlement. Il y a sûrement des aides psychologiques mises en place. On essaie de faire en sorte que ce fléau disparaisse, ou du moins diminue. 

    Avant, on n'en parlait pas. Cela existait. On appelait les victimes les souffre-douleur, les boucs-émissaires. Aujourd'hui, à cause des réseaux sociaux, c'est pire parce que c'est partout et tout le temps que la victime peut être harcelée. Si elle ne va pas elle-même sur les réseaux sociaux, si elle ne voit pas elle-même ce qu'on dit d'elle, elle le saura d'une façon ou d'une autre parce que, dans la cour de l'école, du collège ou du lycée, elle comprendra très vite que des élèves qu'elle ne connaît absolument pas la "connaissent" et se moquent d'elle. 

    Je lisais des témoignages et surtout des commentaires. "Il faut en parler", "il faut dénoncer", "les profs ne font rien", "les parents doivent savoir"... En théorie, oui. Si c'était suffisant et efficace, oui. Si c'était simple, oui. La vérité est ailleurs, en général. C'est un truc souterrain, souvent, au départ et puis ça prend une ampleur ingérable par qui que ce soit. Surtout, encore une fois, avec les réseaux sociaux. 

    Et puis, il ne faut pas négliger un aspect primordial : les victimes de harcèlement sont, en général, faibles ou affaiblies d'une façon ou d'une autre. Ce ne sont pas des grandes gueules ni des costauds. C'est le petit timide et gringalet, un peu solitaire, pas très à l'aise. Le harcèlement ne va pas démarrer franchement, comme ça, d'un coup. Non. Ce sera insidieux. Pervers. Presque invisible et indicible. Ira-t-on se plaindre d'un petit détail qui, sur le moment, est blessant mais sans plus ? Les choses dégénèrent petit à petit et, entre temps, souvent, la victime s'est déjà persuadée qu'elle est un peu responsable de ce qui lui arrive. Elle finit par trouver un "fond de vrai" dans ce qu'on lui dit. Ou bien, si elle a essayé de se rebeller, toute justification, toute explication est passée pour un aveu de culpabilité. Là, c'est foutu. Le harcelé est pris au piège. 

    Une fois qu'il se dit "ils ont peut-être raison" ou "plus je m'explique, plus ils m'insultent", c'est mort. Une culpabilité paralysante s'installe. Si on va en parler aux profs, il faudra expliquer ce qui est dit, ce qui est sous-entendu. Souvent, c'est humiliant de devoir raconter cela. On n'a pas envie que l'adulte, qu'on pense "en dehors de ça" soit lui aussi mis au courant. On finit par éprouver une sorte de double honte : celle de ne pas être capable d'arrêter les harceleurs et celle provoquée par l'idée que les harceleurs ont peut-être un peu raison, quelque part. Quant aux parents, justement à cause de cette honte, on n'a pas envie de les mettre dans le coup, de les blesser, de les choquer. Sans compter, là encore, une triple honte : on deviendra le "bébé à maman ou à papa qui ne sait pas se défendre tout seul", ou bien "la balance" qui a osé cracher le morceau. Peut-être que les choses s'amélioreraient mais dans le doute... Cela fait trop de paramètres inconnus. 

    Alors, on subit. On espère que ça cessera. On ne peut pas profiter du jour où il ne se passe rien puisqu'on est sans cesse dans l'attente de quelque chose. On devient parano. On n'approche plus personne en priant pour devenir invisible. On se met à trembler lorsqu'un regard un peu insistant se pose sur nous. On ne bronche pas quand l'insulte tombe. On s'habituerait presque. Mais on n'en parle pas. 

    De mon temps, il n'y avait pas ces espaces de parole, encore moins des campagnes contre le harcèlement. Mais aurais-je seulement su que j'étais harcelée ? En 7 ans, j'ai eu le temps de me dire que c'était de ma faute, d'être même d'accord avec les harceleurs, de me dire que je méritais cela puisque j'en suis arrivée à penser comme eux. Alors, à quel moment me serais-je rendue compte que ce que je subissais c'était bien du harcèlement ? Est-ce que j'en aurais parlé ? Aurais-je pris le risque que mes parents soient au courant de ce qui se passait au collège et - dans une moindre mesure -au lycée où, malheureusement, mon principal bourreau m'avait suivie (avec toutes les conséquences que ça entraîne) ? 

    Les gens, comme d'habitude, tapent sur les profs, ces salauds aveugles et sourds qui enfoncent les victimes de harcèlement par leur silence complice. Franchement, je ne suis pas du tout certaine que les profs de mon époque aient pu voir quoi que ce soit. Mes harceleurs n'agissaient pas sous leur nez. J'ai vu aussi que les harcelés ont des résultats en baisse, ce qui devrait alerter parents et profs... Dans mon cas, c'était l'inverse. Je mettais un point d'honneur à être meilleure que tous les autres en classe et j'y parvenais à peu près. Je ne pouvais pas me décevoir dans tous les domaines ! 

    J'ignore encore aujourd'hui ce qu'il faut faire contre le harcèlement. Même les parents des harceleurs, ou de la majorité des harceleurs, tomberaient des nues car ils ne savent pas les 3/4 de ce que font leurs enfants à l'école. Le petit être tout mignon à la maison se transforme-t-il en monstre pervers et prédateur une fois avec ses copains ? Peut-être mais comment l'envisager ? Car, il ne faut pas oublier que derrière un harceleur se cache souvent quelqu'un qui a peur d'être harcelé et qui a choisi son camp à temps, par chance ou parce qu'il a eu les copains qu'il fallait au moment où il le fallait. C'est comme les témoins muets : ils ne cautionnent pas mais sont bien contents, dans le fond, de ne pas être dans le rôle du harcelé. Alors, histoire d'avoir la paix, ils ne diront rien... les harceleurs peuvent rapidement ajouter une tête à leur tableau de chasse... 

    C'est complexe. Très. On demande aux victimes d'agir mais il arrive un moment où elles n'en sont plus capables. La solution pourrait venir des témoins passifs mais, par définition, leur passivité les poussera toujours à rester dans l'ombre, à ne rien dénoncer. Le numéro d'appel qui a été créé pourra peut-être aider mais, au quotidien, concrètement, c'est très très difficile de résoudre ce problème de santé publique. Car c'en est un. Si on survit, ce n'est pas sans séquelles. Les conséquences sont dramatiques, lourdes même des années après. La vie d'un harcelé reste entachée à jamais par les actes et les paroles des harceleurs. Et, le pire là-dedans, c'est que le harceleur, lui, fait sa vie comme si de rien n'était. S'il n'a pas tout oublié, il considère certainement que c'était pour déconner et puis que c'était un truc de gamin pas bien grave. Le drame est là aussi : les cicatrices du harcelé ne s'effacent jamais tandis que le harceleur, souvent, n'a même pas conscience du mal qu'il a fait. 

    Je me souviens encore des visages et des noms. Eux, si je les revoyais, que diraient-ils ? Se souviendraient-ils ? Mon comportement actuel est encore dirigé par les séquelles de cette époque. Je suis ce que je suis parce qu'ils m'ont empêchée de devenir ce que j'aurais pu être. 


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