• Hier, j'ai rencontré par hasard l'une de mes anciennes élèves. Elle a aujourd'hui 25 ans (je sais, ça ne me rajeunit pas !). C'est elle qui m'a reconnue :"Oh, j'vous ai eue comme prof !". Je reconnaissais  vaguement son sourire. Elle ajoute "Myriam Dupont*, la chieuse de service !". Ah oui ! En effet, chieuse est un euphémisme. Elle était insupportable ! Le genre insolente soutenue par maman. Assez bonne élève mais alors, pénible ! C'est à cause d'elle qu'un jour j'ai failli quitter ma classe en plein milieu d'un cours. Bon, évidemment, elle ne l'a pas su et je ne le lui ai pas dit hier non plus ! Voici l'histoire :

    C'était un samedi matin, jour de portes ouvertes au collège. J'avais cette classe deux heures d'affilée J'avais mis un devoir la 2e heure parce que je n'avais pas le choix des dates. Pourtant, cette Myriam et ses copines, qui étaient tout à fait au courant du devoir n'avaient rien trouvé de mieux que de se porter volontaires pour servir de guides aux parents-visiteurs. En début d'heure, elles m'annoncent donc qu'elles ne resteraient pas, qu'elles devaient rejoindre leur poste de guide. Je leur rappelle le devoir. Elles me répondent que chaque visite ne dure que très peu de temps, qu'elles seront donc là pour faire le devoir la 2e heure, sans souci. Je me méfiais de ce groupe de filles très délurées pour leur âge.Et j'avais raison !

     Au début de l'heure suivante, elles ne pointent pas le bout de leur nez. Je demande à un autre élève de la classe d'aller les chercher. Il revient en me disant qu'elles s'étaient proposées pour faire les visites toute la matinée. Mon sang ne fait qu'un tour. Vu qu'elles avaient laissé leurs affaires dans la classe, je m'empare des carnets de correspondance (à l'époque, tout se faisait par écrit encore !) et je mets un mot à destination des parents. J'explique la situation et le coup tordu qu'elles faisaient en s'inscrivant au dernier moment pour des visites alors qu'elles s'étaient engagées à venir faire le devoir (que j'avais abandonné entre temps vu qu'il me manquait trop de monde parce qu'elles avaient donné l'idée à plusieurs autres élèves de la classe !)

    Elles finissent par rentrer. Il devait rester 15 ou 20 minutes. Je râle (beaucoup), j'explique que j'ai mis un mot dans le carnet. Là Myriam et son acolyte me hurlent dessus, me jurent leurs grands dieux que la CPE les avait suppliées de rester faire la visite, que de toute façon, je n'avais pas le droit de mettre un devoir comme ça, un jour de portes ouvertes, que leurs parents ne signeront pas le mot vu qu'ils sont d'accord avec elles et que c'est moi qui suis dans mon tort. "Vous aurez affaire à ma mère !" m'avait lancé Myriam très agressive.

    A cette époque, je n'allais pas bien du tout. Chaque jour de boulot était une souffrance. Chaque soir, je me couchais en me demandant comment j'allais faire le lendemain matin et chaque matin, je partais avec l'envie de tout plaquer. C'était une période très compliquée durant laquelle j'ai failli craquer plusieurs fois et justement, l'attitude de ces minettes ce samedi-là a failli provoquer la rupture. Comment j'ai fait ? Pourquoi je ne suis pas partie ? Je ne sais pas. Myriam et ses copines ont gagné ce jour-là. Elles n'ont jamais fait signer les mots. la mère de Myriam a soutenu sa fille, disant que de toute façon, j'étais prévenue de son absence. 

    C'était drôle de la revoir hier soir. Elle se marrait et reconnaissait qu'elle était une vraie peste, qu'elle passait son temps à faire des conneries. Je lui ai dit qu'elle m'avait vraiment fait tourner en bourrique à l'époque. Elle m'a dit "Oh la la, oui, je sais, je suis désolée, qu'est-ce qu'on est con à l'adolescence quand même !" J'aurais aimé que sa mère soit là pour entendre ça et comprendre 13 ans après que sa chère fifille n'était pas si innocente qu'elle voulait bien le croire. Je me disais qu'il faudrait que certains parents puissent entendre ce genre de témoignage, de gamins qui étaient affreusement pénibles et qui le reconnaissent, qui admettent qu'ils ont emmerdé les profs, qu'ils ont menti à la maison et que leurs punitions étaient largement méritées. Peut-être que ça les ferait réfléchir... 

    En attendant, cette jeune fille semble désormais tout à fait charmante et, dans le fond, j'étais contente de la revoir, de constater qu'elle n'était plus la peste qu'elle avait été et apparemment, elle semblait plutôt ravie de me revoir aussi. 

    * Myriam Dupont n'est évidemment pas son vrai nom !


    3 commentaires
  • Avant, on aurait entendu des gens traiter les profs de connards, ça aurait choqué et, surtout, on aurait catalogué ceux qui disaient ça de "connards eux-mêmes", on aurait pensé qu'il s'agissait de catégories sociales un peu défavorisées. Grâce à ce qui s'est passé cette année, je pense qu'il est désormais de bon ton de qualifier les profs de tous les noms d'oiseaux, les plus insultants possibles. Pourquoi ? Simplement parce qu'en haut lieu on le fait, on donne l'exemple alors, les autres, tous les autres, se lâchent. Pourquoi se priveraient-ils ? "Ma fille a eu 9 au bac parce que des connards l'ont notée". Elle n'a pas eu 9 parce qu'elle le méritait. D'ailleurs, elle aurait été notée par ses parents ou le charcutier, elle aurait sûrement eu 20. Les profs sont donc des salopards de terroristes à moitié débiles qui notent comme ça, sans raisons, sans justifications. Et tout le monde le croit parce qu'on leur a dit que c'était vrai.


    2 commentaires
  • C'est bizarre, la vie. Souvent je me demande un peu ce qui m'est arrivé. La même chose qu'aux autres, probablement. Le temps qui passe. On vit les heures les unes après les autres et on finit par oublier ce qu'on était, ce qu'on pensait, ce qu'on voulait. On est devenu un adulte sans le vouloir et sans le mode d'emploi. 

    Quand j'étais à l'école, au collège puis au lycée, j'étais très ambitieuse. Je m'voyais déjà...  plein de choses... A la fac aussi. Je n'étais pas brillante. Non. On ne peut pas dire ça. J'ai connu quelques éclats qui me disaient qu'il y avait une petite lumière quelque part, sans doute. A partir de là, j'ai eu des ambitions. J'aimais la compétition et la victoire. La première marche du podium si possible. La deuxième au moins me satisfaisait. J'avais toujours cette espèce de force qui me tirait vers le haut. 

    Alors, comment suis-je arrivée à mon état actuel de prof médiocre ? Où est donc passée ma motivation ? Mon ambition ? Je ne voulais tellement pas faire ce métier que je m'y suis peut-être un peu paumée... effacée... éteinte... lentement mais sûrement. En fait, c'est un métier dans lequel je n'ai jamais su quoi faire pour être excellente. Dans mes études, je savais et je mettais les moyens pour y arriver. Quand je suis devenue prof, j'ai rapidement compris que c'était différent. Préparer un cours, même très bon, ne suffit pas. Au départ, je me suis heurtée aux élèves. J'arrivais avec mes cours mais je ne pouvais pas faire cours parce qu'ils en avaient décidé autrement et que je ne savais pas m'y prendre. J'ai donc été cataloguée "mauvais prof" assez vite. Je pense que c'est là que ça s'est cassé, que j'ai perdu ma motivation. Je me suis retrouvée face à quelque chose que je ne maîtrisais pas et que j'ignorais comment maîtriser. C'est con d'être un maître qui ne maîtrise rien. 

    C'était brutal. C'était difficile de m'emparer de ce destin qui s'imposait à moi alors que je voyais bien que je pataugeais dans la semoule pour des prunes. A force de patauger, j'ai juste essayé de ne pas être engloutie, je suppose. Et comme cela demande une énergie considérable, je n'en avais plus assez pour le reste : l'ambition. 

    Aujourd'hui, je patauge toujours. Les élèves ne sont plus vraiment le problème (s'il y a eu un progrès, c'est celui-là !) mais je suis engluée dans une forme de médiocrité de laquelle je ne vois pas comment sortir. J'ai toujours senti une espèce de.... gentil mépris de la part de mes chefs. Je dis gentil parce qu'aucun ne m'a jamais reproché quoique ce soit mais je vois bien que je ne suis pas THE PROF qu'ils ont envie de soutenir ou de féliciter, surtout pas. Ou alors du bout des lèvres parce que, pour une fois, j'aurai fait un truc pas trop mal. 

    Ce n'est pas que je n'ai pas envie ou plus envie d'être "la meilleure" c'est que je ne sais plus comment faire parce que je n'ai pas les codes. Finalement, on me confie des élèves parce qu'on n'a pas le choix, non ? Je suis là, je dois prendre des classes mais on sait bien que parmi les profs il y a un sacré paquet d'incompétents. Les parents nous le font sentir régulièrement, lorsqu'ils nous rappellent les programmes que nous ne respectons pas vraiment ou qu'ils nous reprochent de ne pas être assez "au point" pour faire de leurs enfants de futurs bacheliers. 

    Je me sens un peu comme étrangère à ce milieu, parfois. J'ai encore l'impression que mes collègues se débrouillent tellement bien par rapport à moi. Peut-être pas. Je sais qu'ils ont aussi des difficultés. Lorsque je dis qu'un élève est pénible et qu'on me fait comprendre que ce n'est qu'avec moi qu'il l'est et que le chef d'établissement fait comme si mon avis n'existait pas, je retourne 20 ans en arrière et je me dis que je n'aurais décidément pas dû rester dans ce boulot. Seulement voilà... je ne sais rien faire d'autre. 20 ans, ça commence à compter. Ça donne des habitudes. 

    Mon ambition s'est noyée quelque part entre une classe en bordel parce que je ne savais pas la gérer et des chefs d'établissements qui ont souvent simplement ignoré ma présence. J'ai heureusement appris à décoder la communication non verbale des élèves et des parents. Je sais désormais reconnaître ceux qui entrent dans ma classe prêts à en découdre. Face aux élèves, j'ai de bons arguments. Face aux parents, j'ai encore du pain sur la planche. Sans doute trop de pain pour la planche face aux parents remontés comme des pendules contre le système scolaire qui ne convient pas, soit parce qu'il est trop exigeant soit parce qu'il ne l'est pas assez. Si j'avais du répondant, je leur dirais bien d'aller se faire foutre avec leurs conseils de merde parce que c'est pas eux qui doivent se coltiner 30 gamins qui savent à peine lire et écrire. Mais, là, je pense que le mépris de mon chef ne serait plus aussi gentil. 

    J'observe. Je m'observe. Parfois il m'arrive encore de me rêver "sur la première marche du podium" mais le temps passe et j'ai changé. Je n'ai plus 20 ans, comme on dit et mes priorités ont certainement évolué, heureusement. Pourtant, à force d'entendre parler de bienveillance à longueur de journées, parfois, j'aimerais bien entendre des mots bienveillants qui me feraient penser que je ne suis pas si médiocre et que, finalement, j'ai un peu réussi dans ce métier. Ça doit être mon côté enfant qui prend le dessus et qui aimerait, comme avant, être félicité pour avoir eu un bon bulletin... ici, ce serait plutôt pour avoir "fait" un bon bulletin, pour avoir bien corrigé des copies, pour avoir su intéresser quelques élèves, pour avoir eu quelques idées originales, pour avoir supporté des parents agressifs jusqu'à pas d'heure et tant d'autres petites choses qui ne sont certes pas ambitieuses mais qui existent et qui sont le quotidien d'une prof de base qui se sent souvent médiocre parmi l'excellence. 


    8 commentaires
  • Quand un élève te demande de lui expliquer le mot "sot", petit moment jouissif !

    - Madame, ça veut dire quoi "sot" ?

    - Idiot, imbécile.

    - Hein ? (bouche ouverte et regard effaré de l'élève)

    - Crétin, abruti, si tu préfères...

    - Hein ??? (re bouche ouverte)

    - Ben oui, "sot" ça veut dire ça ! C'était bien ta question, non ? 

    - Euh, oui oui, merci...

    Ah qu'est-ce qu'on s'amuse parfois... La prochaine fois, il préférera peut-être prendre un dictionnaire ! 

    ps : Je vous rassure, l'élève n'a pas été traumatisé et nous avons poursuivi le cours dans la bonne humeur ! 


    1 commentaire
  • On dit souvent que le métier de prof est une vocation. Pour beaucoup, c'est le cas, en effet. Tant mieux pour eux. Ou tant pis. Perso, ce n'était pas du tout ça. J'ai étudié la littérature par goût et je me suis retrouvée prof par obligation. J'ai rapidement constaté qu'à part ça, les études littéraires ne menaient pas à grand chose et comme il faut bien "gagner sa vie", il a fallu agir. J'ai passé le concours. Je l'ai eu. Maladroitement, mais je l'ai eu.

    J'étais sûre et certaine d'être nulle pour ce job et mes premières années me l'ont prouvé. Ensuite, j'ai pris de l'assurance et le métier a fini par rentrer, comme on dit. Il m'est arrivé de vivre de bons moments, de trouver des trucs très positifs et quelquefois, je me dis que c'est un travail qui me convient malgré tout.

    L'autre jour, nous avons eu une "formation". Je mets des guillemets parce que je n'estime pas avoir été vraiment "formée" à quoique ce soit mais peu importe, là n'est pas la question. Non. Ce qui m'a interpellée ce sont les propos de deux des "formateurs" qui s'adressaient à nous. Des collègues, en fait. Le premier, prof de lycée, certainement apprécié et compétent. La deuxième, prof de lycée pro, certainement appréciée et compétente aussi. Ces deux-là nous ont expliqué de façon plus ou moins alambiquée que nous ne représentions rien aux yeux de nos élèves. Rien. Alors, bien sûr, je n'avais pas imaginé avoir une quelconque valeur mais, quand même, lorsque ce sont des collègues qui nous expliquent que pour nos élèves nous ne sommes rien, ça fait bizarre. En gros, on nous a expliqué que les élèves n'ont aucune raison de soigner leurs écrits pour leurs profs puisque le prof ne représente rien à leurs yeux. D'après ces collègues, les gamins essaieront de faire des travaux soignés pour d'autres personnes, des parents, des amis, des étrangers mais pas pour leur prof qui est finalement quantité négligeable.

    Je me demandais dans quel autre boulot on dirait ainsi sans détour aux gens qu'on n'en a rien à faire de leurs compétences, de leurs efforts, de leur sensibilité aussi. La société dans sa globalité nous prend pour des cons alors, en effet, pourquoi les jeunes agiraient-ils autrement ? Mais le pire dans tout cela c'est que c'est une idée qui semble désormais ancrée, intégrée. Là, il ne s'agit pas de la parole d'un quidam dans la rue mais bel et bien de l'avis de 2 collègues s'exprimant devant plusieurs dizaines de profs. Quand on y réfléchit, ça fait flipper, non ?

    Je me disais qu'avant, un peu au moins, l'élève aurait été désireux de faire plaisir à son prof. Je me souviens de ma fierté lorsqu'un prof disait que ce que j'avais fait était bien, qu'il avait apprécié de me lire (même si ce n'était pas un si bon devoir dans le fond). Je me rappelle quand j'allais demander leur avis à mes profs sur mes lectures ou sur mes textes parce que leur avis importait. Je lisais leurs appréciations et j'essayais de tenir compte de leurs conseils parce que c'était eux qui savaient. J'ai encore en mémoire des conseils donnés à l'oral par certains profs, conseils qu'il m'arrive encore d'appliquer aujourd'hui. Vous allez me dire que c'est normal vu que je faisais partie des "bons" élèves. Pour être exacte, je n'étais pas mauvaise. Mais qu'importe. Aujourd'hui, il arrive aussi que les bons élèves nous prennent pour des débiles profonds. 

    Alors, quand j'entends des collègues expliquer que les gosses ne font aucun effort d'orthographe (malgré le temps qu'on passe à signaler leurs fautes) parce que leur travail n'est QUE pour le prof et que les profs, ils en voient passer depuis qu'ils sont petits et qu'ils en ont finalement assez de devoir se les coltiner, je comprends mieux, en effet, certaines attitudes des enfants. Si on résume : les élèves doivent nous subir et, un peu comme les pubs au milieu du film, ils nous acceptent mais ne font plus attention à nous, ne nous accordent plus de réel intérêt. Au mieux, ils nous respectent un peu mais s'ils pouvaient, comme pour les pubs,  ils iraient aux toilettes histoire de nous zapper discrètement. 

    Bien sûr, il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Ce serait très vaniteux de penser qu'on vaut quelque chose mais quand même... entendre clairement dire qu'on ne représente rien aux yeux de ceux avec qui nous passons quand même pas mal de temps, ça fait un petit pincement au coeur, non ? Heureusement que je n'ai pas fait ce métier par passion. Je crois que j'aurais été encore plus déçue. En revanche, ce n'est pas très bon pour l'estime de soi que je n'avais déjà pas... Plus ça va et plus je suis blasée et ce genre de journée de formation me conforte dans l'idée que l'essentiel est ailleurs. Où ? Allez savoir. Enfin, heureusement, on a des vacances et ça compense tout, diraient certains... mais on les mérite bien nos vacances, au moins pour avoir l'impression d'exister un peu et, peut-être, parfois, de redevenir quelqu'un. 


    16 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique