• Paradoxalement, prof, c'est un métier solitaire. C'est même ce qui m'a plu à la base. Concrètement, on a assez peu de comptes à rendre dans la mesure où on respecte le fameux programme et, en français, nous avons au moins un avantage c'est que nous pouvons "jouer" assez facilement avec ce programme pour le mettre à notre sauce. Du coup, souvent, c'est des cours relativement personnels. Il y a des matières qui collaborent davantage. En lettres, pas trop. Enfin, partout où je suis passée c'était plutôt "chacun pour soi". Pour plein de raisons, d'ailleurs, y compris tout simplement la disponibilité des uns et des autres qui change tout le temps. Mais aussi parce qu'on n'a pas les mêmes goûts ni les mêmes envies en matière de livres ou de textes donc, difficile de collaborer et de pratiquer le fameux "travail d'équipe". 

    Paradoxalement c'est un métier solitaire, donc. Bien qu'on soit rarement seul, on est seul dans les faits. On est en cours avec plein d'élèves. On est le seul adulte dans la classe. Si tout se passe bien, on ne se sent pas seul. Lorsque l'alchimie se produit avec les élèves, lorsqu'il y a de la complicité, on ne ressent pas cette solitude. Mais lorsque cette alchimie ne se produit pas, lorsque les cours ne se passent pas bien, on est seul, complètement. On pourrait en parler aux collègues qu'on retrouve aux récréations ou lors des réunions mais on ne le fait pas, ou peu. On va râler après tel ou tel élève souvent, même après une classe mais, je dirais qu'on râle lorsque ça se passe bien... ou, en tout cas pas trop mal. 

    Un drôle de phénomène se produit lorsque ça ne se passe pas bien : on le cache, plus ou moins. Surtout lorsqu'on fait des tentatives auprès d'autres profs qui ont la classe et qu'on entend des choses du genre :"Oui, ils sont un peu agités mais super sympa :", ou "Moi, je les trouve bien, je n'ai aucun problème avec eux, ils bossent, ils sont calmes, non vraiment, ça va." Là, on se tait. On ne dit pas que pour nous ça ne va pas. C'est un peu la honte de l'avouer. La honte de se dire qu'il n'y a qu'avec nous que ça ne va pas. A partir du moment où on entend dire que cette classe est géniale, on se remet en cause et on cherche à comprendre ce qui cloche, pas avec les élèves, mais avec nous. Qu'est-ce qui fait qu'avec les autres tout roule ? 

    C'est là qu'elle devient dévastatrice, cette solitude du prof. Seul dans sa classe, en milieu hostile, avec des élèves qu'il ne gère pas (ou plus) et seul au milieu de ses collègues pour qui tout semble aller comme sur des roulettes. Même si chaque heure est un enfer, il faudra tenir bon et faire face tout en essayant de ne jamais trop parler des "problèmes" au risque de devenir le "mauvais prof" pas foutu de tenir sa classe. 

    En fait, c'est ça : échouer là où d'autres réussissent, voilà le drame du prof. Le pire c'est que parfois, on découvre plus tard que d'autres aussi étaient dans le même cas de figure avec la même classe mais comme chacun prétend que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, forcément, on ne s'en sort pas. 

    C'est un sentiment que je ne comprends pas trop même si je le ressens : pourquoi cette honte à avouer qu'on n'y arrive pas avec une classe (ou plusieurs) ? Sans doute parce qu'à force de nous dire qu'on est des minables, une petite part de nous finit par le croire vraiment... C'est difficile d'aller vers un collègue (qu'on sait plutôt meilleur que nous) et de lui dire qu'on galère vraiment avec une classe. Là où on est sauvé c'est lorsque tout le monde galère. Dans ces cas-là, même, on fait des réunions entre nous pour essayer de régler le problème et tous les profs, réunis autour d'une même table, reconnaissent qu'ils n'y arrivent pas avec cette classe. Bon, certains diront toujours qu'avec eux, ça peut aller... mais, disons qu'une majorité reconnaît que ça n'est pas satisfaisant. C'est l'un des rares moments où le prof un peu paumé ne se sent pas isolé. 

    Le reste du temps, c'est un sentiment de solitude assez plombant, il faut bien le reconnaître. Solitude + culpabilité + honte... c'est quand même pas top comme cocktail... Lors de ma première année, j'ai commis l'erreur de penser que l'administration pourrait m'aider. Faux ! Ne rien attendre de ce côté-là. C'est de là que peuvent venir les reproches et les affirmations du style :"Vous n'êtes pas faite pour ce métier, c'est tout." De cette première année catastrophique, j'ai retenu qu'il fallait que j'apprenne à me débrouiller seule dans la mesure du possible. 

    Mais quelquefois, ça fait peur tant de solitude... lorsqu'on regarde autour de soi et qu'on se dit qu'il y a plein de monde mais finalement personne pour nous aider en cas de besoin parce que, dans sa classe, quoiqu'il arrive, le prof est seul. Et, à force, je crois qu'un peu partout il se sent seul. 


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  • Aujourd'hui, discussion avec la maman d'une jeune fille qui est passée en 6e là, en septembre. Son instit lui avait dit qu'il n'y aurait aucun souci, qu'elle était dans les très bons et, en effet, elle n'avait que des A, ou des B et quelques C... des D aussi mais rarement. Arrivée en 6e, premiers contrôles, les résultats sont catastrophiques... Ses notes plutôt autour de 6/20. Elle n'est pas dans les très bons. Loin de là. Et pourtant ce sont des révisions. Réflexion de la maman : "Si au moins j'avais eu des notes avant, j'aurais su si ma fille était plus près du 12 ou même du 10 que du 18 ! Finalement, je n'avais aucune idée de son réel niveau ni de ses réels problèmes."

    Alors, pour remédier à ce genre de souci, dans plein de collèges, on supprime les notes en 6e et 5e, histoire que les parents ne sachent surtout pas où en sont réellement leurs enfants ! En 4e ou même en 3e, ce sera bien assez tôt de leur balancer que, finalement, leur enfant n'est peut-être pas si doué que ça et que ses A, B, C (ou gommettes vertes, jaunes et rouges... ou smileys qui sourient ou pas) ne représentaient pas grand chose. Ah, il n'était pas traumatisé, l'enfant, non. Ses parents non plus. Tellement pas qu'ils le pensaient tout à fait au point et que maintenant, ils ne savent plus quoi faire parce que, arrivé en 3e, c'est un peu tard pour réagir. 

    Alors quoi ? Suppression du brevet parce qu'un brevet gommettes, ça ne fait pas sérieux... Et puis, les notes, au bac ? Comment qu'on va faire ? On va aussi devoir mettre des lettres comme aux States ? Tu auras ton bac A+ ou C-. Mais, en vrai, tu n'auras toujours pas trop idée de ton niveau. Alors, tu feras des études supérieures parce qu'après tout, hein, tu n'es pas plus nul que les autres... et même, tu passeras des concours... sans notes, sans rien, de rien, pour rien. 

    Alors, n'évaluons plus ! Jamais. Rien. Ni personne. Et puis, si tu veux devenir médecin, charcutier, prof, pilote de ligne, commerçant... tu le pourras si tu le désires. C'est juste une question de volonté et il ne faut pas brimer les gens. D'ailleurs, même moi, je vais pouvoir devenir vétérinaire après toutes ces années où j'ai cru que mon niveau était insuffisant. Si je n'avais pas eu de notes, je ne l'aurais même pas su ! Et j'aurais pu réaliser mon rêve. C'est con... Les notes ont gâché ma vie. Je n'ai pas pu sauver plein de petits chiens, de petits chats, de vaches et de cochons ! A cause de mes notes, même mes parents m'ont dit :"Non, tu n'as pas le niveau ! "... Si j'avais eu des smileys souriants, ou juste un peu tristounes de temps en temps, si on ne m'avait pas traumatisée par des notes, j'aurais fait une grande carrière ! Bon... combien de pauvres tites bêtes auraient clamsé entre mes mains pas très expertes, ça, on n'en sait rien... mais, voilà, sans notes, j'aurais eu une autre vie ! 

    Je me demande quand même si dans les grandes écoles, celles où vont les enfants de nos élites, on va s'amuser à mettre des gommettes et des smileys ou bien si eux continueront à avoir une vraie formation avec de vraies informations ? 


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  • Il y a quelques années, j'avais croisé mon ancien prof de français, quelqu'un que j'admirais beaucoup et qui représentait pour moi le prof parfait. Il m'avait donné l'envie de faire des études de lettres et de mieux comprendre la littérature. Ce jour-là, lorsque je l'ai rencontré dans un magasin par hasard, nous avons un peu parlé. Il venait de prendre sa retraite. Moi, je démarrais comme prof. A un moment dans la conversation, nous avons évoqué les difficultés du métier. Je me disais que lui ne devait pas en avoir beaucoup, vu son talent... et en fait, il m'a dit qu'un matin, il s'était réveillé et avait été incapable de se lever pour aller travailler. Apparemment, à partir de là, il avait arrêté de bosser en lycée pour se concentrer sur la fac. A l'époque, je ne voyais pas vraiment de quoi il parlait. J'avais trouvé cette expression surprenante... "Un matin, vous ne pouvez pas vous lever, tout simplement." Depuis plusieurs semaines, c'est le soir que je me dis que le lendemain je ne pourrai pas me lever et puis, j'y vais, finalement... Je crois que maintenant je comprends ce que mon prof voulait dire et même si je parviens encore à me lever, j'ai toujours cette impression que ce ne sera pas possible demain, ou après-demain... Et si un matin, moi non plus, je ne pouvais plus y aller ?  


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  • Il y a quelques années, je m'étais pris la tête avec une collègue qui disait que puisque les élèves n'ont pas le droit de mâcher du chewing-gum ni d'utiliser leur portable au collège, les profs ne devraient pas le faire non plus... ni devant eux, logique en quelque sorte (même si, j'en suis sûre, à mon époque, on n'aurait pas trouvé choquant qu'un prof fasse un truc qu'un élève ne faisait pas parce qu'on faisait la différence entre l'adulte qu'il était et l'enfant que nous étions), ni en salle de profs non plus (et limite même pas sur le parking du collège)... et là, pas logique parce que salle des profs = profs = adultes. Mais, poussons cet état d'esprit un chouia plus loin :

    - bientôt les élèves ne seront plus notés, donc, les profs non plus ? Eh oui, nous avons chaque année une note administrative et régulièrement une note d'inspection. Si la note est traumatisante, supprimons-la. Quoi ? Ça traumatise oui ou non ?

    - certains pédagogo disent que l'idéal serait que les élèves puissent avoir les cours qu'ils souhaitent quand ils le souhaitent. Les profs pourront donc avoir les élèves qu'ils souhaitent quand ils le souhaitent ?

    - dans la même veine, si les élèves n'ont pas envie d'apprendre, ils devraient pouvoir faire autre chose. Si je n'ai pas envie de faire cours, je peux ?

    - les enfants ne doivent pas avoir de devoirs à faire à la maison afin de profiter au max de leurs activités. Finies les préparations de cours et les corrections de copies sur notre temps libre, alors ?

    - lorsque l'élève insulte ou frappe le prof, ce n'est pas la personne qu'il insulte ou frappe mais ce qu'elle représente, sa fonction. Si j'insulte ou si je frappe un élève, ce n'est pas un enfant mais un élève donc sa fonction aussi, non ?

    A tout cela, on va me rétorquer que ce sont des enfants, que les profs sont les adultes avec un énorme salaire pour ce merveilleux job. Je suis d'accord (enfin presque... les profs sauront quel(s) adjectif(s) supprimer). Mais alors, il faudrait justement qu'à chaque instant les profs soient considérés comme des adultes avec des droits et des devoirs d'adultes et pas que ça puisse varier selon les délires et caprices des uns et des autres. Déjà, à la base, le prof fait partie de ces gens qui n'est pas sûr de pouvoir faire son boulot et ça aussi c'est un sacré privilège. Demandez-vous, tiens, par curiosité, quelles autres professionnels sont ainsi régulièrement empêchés de faire ce pour quoi ils sont payés... j'en vois quelques uns, mais pas tant que ça en fait. 

    L'infantilisation est au coeur de la profession - sans doute parce qu'on travaille avec des enfants, certains mélangent un peu -  et c'est aussi l'un des trucs qui m'insupporte de plus en plus (pas le seul, hélas). A lire certains collègues (pas tous heureusement), on a l'impression que, finalement, les profs sont à égalité... ou non, inférieurs, aux élèves sur bien des points puisque, quand on y réfléchit, les profs doivent avant tout penser à leurs obligations vis à vis des élèves, des parents, de la hiérarchie, des gens en général...et leur droit, en particulier celui de travailler, tout simplement, est régulièrement baffoué. Les élèves, ou plutôt "les emmerdeurs", quant à eux, ont des droits qu'ils ne manquent pas de mettre en avant, jamais. Ils ont aussi des devoirs mais on leur octroie tellement souvent la possibilité de s'en défaire pour ne pas les traumatiser, que, finalement, ils finissent par les oublier.

    Bien sûr, les élèves sympa, gentils, polis, respectueux passent souvent à la trappe parce que tout le monde s'en fout (même les profs, justement, qui ont assez à faire à gérer les autres) ! Ils ne se font pas remarquer donc, ils n'ont pas de problème (tu parles !). Les autres, ceux qui ne respectent rien ni personne, qui bousillent les cours (et/ou les profs) et qui sont minoritaires, sont ceux qui profitent à fond du système, ceux qu'il faut protéger, ceux à cause de qui on doit sans cesse "renouveler nos pratiques" et "nous remettre en question"... sans nous demander si ça nous convient et sans se demander si ça convient à la majorité silencieuse des gamins qui ne demandent rien, n'exigent rien et ne demandent, eux aussi, qu'à travailler dans de bonnes conditions.

    Je considère, mais j'imagine que j'ai tort, qu'on les a sacrifiés (et qu'on continue à le faire) ces gamins sympa et bosseurs, depuis des années au profit de tous les p'tits cons qui, dans toute leur ingratitude, sont ceux qui, une fois devenus adultes, diront qu'ils ont été malmenés par des salauds de profs et dont on publiera les commentaires dans les magazines de psycho pour démontrer à quel point le prof est nuisible. On se gardera bien de dire combien de profs ont craqué en silence et en privé après avoir eu affaire à ces p'tits cons, combien d'entre eux ont fini par tomber malade ou, pire, combien seront finalement morts de ce mépris affiché et de cette solitude extrême(autre privilège du métier) face à ces mignons petits élèves qui ne font, apparemment, que se défendre. 

    Les trucs que je propose plus haut permettraient une vraie égalité, non ? C'est exagéré ? Bien sûr... mais pas vraiment plus que les conneries qu'on peut lire (ou pire, entendre) parfois... 


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  • Depuis plusieurs mois, cette idée s'est installée et j'y pense désormais comme à quelque chose de certain... alors que pas forcément. Je voudrais travailler à temps partiel l'an prochain et après aussi, sans doute. Sauf si financièrement c'est difficile. Pourquoi ? La raison officielle, celle que je mets en avant, c'est que je me dis que ce sera le seul moyen de tenir le coup jusqu'aux 60 ans et quelques longues années qui sont annoncées. Je suis déjà fatiguée alors, imaginez dans 20 ans... avec des gosses de 11 ans. C'est assez inimaginable en fait. 

    J'espère obtenir ce droit... que la loi ne va pas changer d'un coup, juste au moment où j'ai décidé de faire ma demande. On verra bien. C'est vrai que je serais déçue parce que c'est devenu une sorte d'évidence, un besoin presque vital. Je m'étais dit que j'attendrais un peu et puis, finalement non. 

    Est-ce que ça changera quelque chose à mon état d'esprit général ? Non. Est-ce que ça changera quelque chose à mon état d'esprit face au boulot ? Je l'espère. Ensuite, je ferai le point et je déciderai de ce qu'il est judicieux de faire. 


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