• Petite réflexion personnelle sur le métier de prof

    On dit souvent que le métier de prof est une vocation. Pour beaucoup, c'est le cas, en effet. Tant mieux pour eux. Ou tant pis. Perso, ce n'était pas du tout ça. J'ai étudié la littérature par goût et je me suis retrouvée prof par obligation. J'ai rapidement constaté qu'à part ça, les études littéraires ne menaient pas à grand chose et comme il faut bien "gagner sa vie", il a fallu agir. J'ai passé le concours. Je l'ai eu. Maladroitement, mais je l'ai eu.

    J'étais sûre et certaine d'être nulle pour ce job et mes premières années me l'ont prouvé. Ensuite, j'ai pris de l'assurance et le métier a fini par rentrer, comme on dit. Il m'est arrivé de vivre de bons moments, de trouver des trucs très positifs et quelquefois, je me dis que c'est un travail qui me convient malgré tout.

    L'autre jour, nous avons eu une "formation". Je mets des guillemets parce que je n'estime pas avoir été vraiment "formée" à quoique ce soit mais peu importe, là n'est pas la question. Non. Ce qui m'a interpellée ce sont les propos de deux des "formateurs" qui s'adressaient à nous. Des collègues, en fait. Le premier, prof de lycée, certainement apprécié et compétent. La deuxième, prof de lycée pro, certainement appréciée et compétente aussi. Ces deux-là nous ont expliqué de façon plus ou moins alambiquée que nous ne représentions rien aux yeux de nos élèves. Rien. Alors, bien sûr, je n'avais pas imaginé avoir une quelconque valeur mais, quand même, lorsque ce sont des collègues qui nous expliquent que pour nos élèves nous ne sommes rien, ça fait bizarre. En gros, on nous a expliqué que les élèves n'ont aucune raison de soigner leurs écrits pour leurs profs puisque le prof ne représente rien à leurs yeux. D'après ces collègues, les gamins essaieront de faire des travaux soignés pour d'autres personnes, des parents, des amis, des étrangers mais pas pour leur prof qui est finalement quantité négligeable.

    Je me demandais dans quel autre boulot on dirait ainsi sans détour aux gens qu'on n'en a rien à faire de leurs compétences, de leurs efforts, de leur sensibilité aussi. La société dans sa globalité nous prend pour des cons alors, en effet, pourquoi les jeunes agiraient-ils autrement ? Mais le pire dans tout cela c'est que c'est une idée qui semble désormais ancrée, intégrée. Là, il ne s'agit pas de la parole d'un quidam dans la rue mais bel et bien de l'avis de 2 collègues s'exprimant devant plusieurs dizaines de profs. Quand on y réfléchit, ça fait flipper, non ?

    Je me disais qu'avant, un peu au moins, l'élève aurait été désireux de faire plaisir à son prof. Je me souviens de ma fierté lorsqu'un prof disait que ce que j'avais fait était bien, qu'il avait apprécié de me lire (même si ce n'était pas un si bon devoir dans le fond). Je me rappelle quand j'allais demander leur avis à mes profs sur mes lectures ou sur mes textes parce que leur avis importait. Je lisais leurs appréciations et j'essayais de tenir compte de leurs conseils parce que c'était eux qui savaient. J'ai encore en mémoire des conseils donnés à l'oral par certains profs, conseils qu'il m'arrive encore d'appliquer aujourd'hui. Vous allez me dire que c'est normal vu que je faisais partie des "bons" élèves. Pour être exacte, je n'étais pas mauvaise. Mais qu'importe. Aujourd'hui, il arrive aussi que les bons élèves nous prennent pour des débiles profonds. 

    Alors, quand j'entends des collègues expliquer que les gosses ne font aucun effort d'orthographe (malgré le temps qu'on passe à signaler leurs fautes) parce que leur travail n'est QUE pour le prof et que les profs, ils en voient passer depuis qu'ils sont petits et qu'ils en ont finalement assez de devoir se les coltiner, je comprends mieux, en effet, certaines attitudes des enfants. Si on résume : les élèves doivent nous subir et, un peu comme les pubs au milieu du film, ils nous acceptent mais ne font plus attention à nous, ne nous accordent plus de réel intérêt. Au mieux, ils nous respectent un peu mais s'ils pouvaient, comme pour les pubs,  ils iraient aux toilettes histoire de nous zapper discrètement. 

    Bien sûr, il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Ce serait très vaniteux de penser qu'on vaut quelque chose mais quand même... entendre clairement dire qu'on ne représente rien aux yeux de ceux avec qui nous passons quand même pas mal de temps, ça fait un petit pincement au coeur, non ? Heureusement que je n'ai pas fait ce métier par passion. Je crois que j'aurais été encore plus déçue. En revanche, ce n'est pas très bon pour l'estime de soi que je n'avais déjà pas... Plus ça va et plus je suis blasée et ce genre de journée de formation me conforte dans l'idée que l'essentiel est ailleurs. Où ? Allez savoir. Enfin, heureusement, on a des vacances et ça compense tout, diraient certains... mais on les mérite bien nos vacances, au moins pour avoir l'impression d'exister un peu et, peut-être, parfois, de redevenir quelqu'un. 

    « Avoir de bonnes notes, c'est facile et pas (trop) cher !Une nouvelle espèce dangereuse (pour les nerfs, au moins !) »

  • Commentaires

    1
    Tana
    Dimanche 2 Avril 2017 à 17:02

    Elle avait l'air intéressante ta formation ;) !!! Je suis un peu désabusée par celle qui arrive mardi. Vanter les mérites de ressources quand tu es dans un établissement qui a des soucis de matériel (c'est un euphémisme), tient du chemin de croix ... Le Golgotha, c'est par où ^^ ?

     

      • Dimanche 2 Avril 2017 à 17:06

        Je suppose que ça va être du même style que la nôtre... 

    2
    Dimanche 2 Avril 2017 à 17:15
    Même combat pour ma part, aucun respect, aucune reconnaissance. Toute la journée parler dans le vide. S'entendre dire partout qu'on est nuls et qu'on ne sert à rien. Je n'ose plus dire où je bosse. Mon mari n'ose plus dire qu'il est enseignant... Le respect a été fracassé sur l'autel des pseudo-libertés du 21ème siècle... Courage...
    3
    yannig29
    Lundi 3 Avril 2017 à 09:31

    Bonjour

    Je compatis à votre constat, si vous avez 30 mn, écoutez Nathalie HEINICH , sociologue pragmatique dans l'émission de Frédéric Taddéï du 29 mars sur europe 1  , dispo en podcast  . Elle parle du jugement de valeur . Le monde est bouleversé dans tous les domaines depuis une vingtaine d'années ! Les choses changent à une cadence infernale à l'heure du Net .

    Si les jeunes s'adaptent, c'est dur à encaisser pour les plus de 40 ans !

    bonne journée et bonnes vacances 

    4
    Lundi 3 Avril 2017 à 18:54

    Merci, j'irai écouter ça. C'est vrai que les choses évoluent et pas toujours très bien. Ou alors c'est cela qu'on appelle devenir vieux... 

    5
    Visiteuse
    Mardi 4 Avril 2017 à 13:03

    Monter un programme de formation pour qu’à la fin il n’y ait chez les participants que des pertes d’estime de soi, de motivation et zéro valeur ajoutée de connaissances est juste hallucinant et triste aussi !

    Il y a vraiment un truc qui ne tourne pas rond dans l’Education Nationale qui se répercute sur tout l’écosystème. 

    Nous ne sommes pas vieux, c’est le monde change mais pas à la même vitesse, de nouveaux paradigmes apparaissent sur tous les plans et c’est pourquoi nous sommes en mutation en non en crise, il faut s’adapter. 

    Je vous recommande vraiment cette petite vidéo avec Idriss Aberkane qui est brillant et démontre que tout est possible et même davantage :

    https://www.youtube.com/watch?v=FvRqCgjhXfk

     

    Bonne journée.

      • Mardi 4 Avril 2017 à 21:37

        L'éducation nationale n'est pas franchement douée pour motiver ses troupes. Je dois admettre qu'un petit compliment de temps à autre ne ferait pas de mal et on n'en a pas souvent... 

    6
    Agrum
    Mardi 4 Avril 2017 à 19:19
    Agrum

    Ce n'est que mon opinion mais je ne considère pas ce monsieur comme "brillant". J'ai regardé la vidéo et déjà lu quelques articles au sujet du livre dont elle fait la promotion.

    Je suis, comme nombre d'enseignants, je pense, fatiguée d'entendre ce discours émanant d'"experts de l'éducation" qui, bien que suffisamment diplômés, évitent soigneusement de mettre leurs brillantes recettes en application dans les classes du primaire et du secondaire... En y enseignant, tout simplement. Je voudrais bien voir cet individu démontrer, au quotidien, en classe, ses théories neuroscientifiques : tout apprendre par le jeu, comme les bébés tigres ou les corbeaux...

    Ces gens sont en pointe pour nous conduire dans le mur. Après avoir pris soin de se barder de diplômes, ils déblatèrent à grands renforts de "travail=souffrance" (au passage, on détruit l'enseignement du latin mais on l'utilise volontiers pour ce genre de démonstration). Et prônent la "libération des cerveaux" d'élèves par l'absence de connaissances solides et d'exigences qui leur ont permis de remplir leur CV personnel.

    Et les responsables de l'état actuel de l'école sont bien sûr les méchants enseignants élitistes et incompétents...

    Il y aurait matière à développer davantage. Voici par exemple un autre son de cloche, ici

    J'écris tout ceci après avoir appris que, dans le collège où je travaille (au lieu de jouer), la réponse aux "incivilités" commises par les élèves pendant les récréations, c'est... la présence des enseignants sur ladite cour. Sur la base du volontariat, pour l'instant.

      • Mardi 4 Avril 2017 à 21:24

        Fallait s'y attendre (à cette présence des enseignants...) ça prépare nos futures 35 ou 39h. Il ne faudra pas qu'ils viennent se plaindre quand plus personne ne voudra faire ce boulot si formidable. 

        Pour le reste, quoique non, ça va ensemble : le but final est bel et bien de détruire l'enseignement par tous les bouts possibles afin de "recommencer" sur de nouvelles bases pour ceux qui auront les moyens de se payer de vraies écoles avec de vrais profs qui auront droit de faire de vrais cours. Les autres subiront jusqu'au point de non-retour des établissements de plus en plus dégradés avec des élèves de plus en plus violents, comme dans les bahuts publics aux USA. La mort de l'école, telle qu'on l'a connue, est programmée. Il faut juste attendre qu'on débranche les machines qui la maintiennent en vie artificiellement. 

      • Visiteuse
        Mercredi 5 Avril 2017 à 09:59
        Visiteuse

        Ah d'accord!

        Mais que pensez-vous de ceci alors ? : 

        http://positivr.fr/ecole-finlande-mickael-moore-pas-devoirs/?mc_cid=9c04c0efe5&mc_eid=99ec69fbbd

         

         

         

    7
    Agrum
    Mardi 4 Avril 2017 à 22:22
    Agrum

    Le plus formidable, c'est que ce sont des collègues qui ont eu cette idée de génie et qui se sont proposés. On admet donc que c'est quelque part, notre manque d'investissement dans ce lieu de vie qu'est le collège qui explique les débordements des élèves... Très efficace.

    Pour ce qui est de l'avenir, on est bien d'accord. Le projet devient clair, pour qui veut bien voir.

      • Mardi 4 Avril 2017 à 22:53

        En même temps, tes collègues ont un don incroyable pour mettre tout le monde dans la ... avec leurs idées bienveillantes à outrance ou leur sentiment de culpabilité qui leur vient d'on ne sait où... 

    8
    Agrum
    Mercredi 5 Avril 2017 à 12:34
    Agrum

    Oui, c'est mystérieux de se sentir si coupable de faire son travail, tout simplement. On devrait organiser un groupe de parole pour aider ces personnes.

    Quoi qu'il en soit, on a au moins bénéficié d'une récréation agréable, ce matin, en salle des profs : sympathique ambiance, du café et de la place pour tout le monde puisque plusieurs collègues étaient sur la cour. smile

    9
    Karleman
    Jeudi 6 Avril 2017 à 17:35

    Mais révoltez-vous les gens !

    Qu'est ce que vous attendez pour faire entendre votre colère ? Indignez-vous et ne laissez pas les gouvernements casser l'école. Quel est donc ce but des gouvernements droite-gauche à vous rabaisser de la sorte ?!
    Je vais vous le dire. Faire que l'école soit définitivement PAYANTE !
    Et là, ce n'est pas seulement vous qui serez léser, mais les parents d'élèves et surtout les élèves eux-mêmes (trop jeunes pour comprendre) qui ne seront que de la chair à bosser pour rien pour les patrons et les voleurs du CAC40.

     

      • Jeudi 6 Avril 2017 à 19:55

        Quand j'ai commencé, il y  a 20 ans, dans chaque établissement, il y avait quelques vieux profs, des gens qui avaient vécu mai 68 de l'intérieur et ceux-là ne se laissaient pas faire du tout ! Ils protégeaient nos intérêts mais ils sont partis en retraite et depuis, il faut bien avouer que plus personne n'ose dire non, ou alors du bout des lèvres. Nous sommes devenus lâches. Nous fermons notre bouche pour ne pas avoir d'ennuis et on nous impose tout et n'importe quoi. 

        Je crois que la longue grève de 2005 qui n'avait abouti à rien a vraiment aussi laissé des traces. Les gens pensaient qu'un tel mouvement de contestation ne pouvait qu'être entendu. Il ne l'a pas été. Les pertes financières ont été importantes pour pas mal de grévistes et ils n'ont plus renouvelé l'expérience. Avant, le sacrifice financier servait à quelque chose. Là, il n'a servi à rien du tout donc, ça a découragé les plus jeunes et comme les plus anciens sont partis juste après, plus personne ne motive les troupes. 

        Enfin, je vois ça comme ça dans mon établissement, en tout cas. 

    10
    dithou
    Jeudi 6 Avril 2017 à 22:01
    Ça semble triste dans les collèges aujourd'hui mais il ne faut pas se laisser faire indignez vous!vous en avez les capacités intellectuelles pour le faire! Une ancienne de la grande maison éducation nationale
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :