• La philosophie du ballon rond

    Je lisais l'autre jour une interview d'Elisabeth Badinter. Elle critiquait les "penseurs" de notre époque qui n'ont plus de réelle place dans la société, en tout cas pas la place qu'ils méritent.

    Au 18 ème siècle, les philosophes s'imaginent capables d'influencer le pouvoir en fréquentant les puissants et en pesant sur l'opinion. Cruelle désillusion, la fin du siècle montre que ce n'est qu'un marché de dupes, et les puissants ont vite compris qu'il est très facile d'instrumentaliser les philosophes. Jusqu'à aujourd'hui, où il est plus important pour un politique d'avoir le soutien de n'importe quel "people", plutôt que celui de quelque penseur que ce soit. Constat : "Les intellectuels ont commis une lourde erreur en acceptant de jouer les groupies des gouvernants." E. Badinter

    Cette constatation concorde avec la logique de la société actuelle. En effet, l'intelligence est laissée de côté au profit de tant d'autres choses bien plus "glamour", plus séduisantes, plus faciles aussi bien sûr. Poser avec l'équipe de France de football ou avec Johnny Hallyday c'est beaucoup plus "fashion", plus "cool" que de disserter avec un penseur, un philosophe. Les hommes de pouvoir veulent se mêler, se fondre (de façon hypocrite) dans la masse. Il s'agit de montrer qu'ils sont comme tout le monde afin de ne plus être accusés de s'enfermer dans leur tour d'ivoire, loin des réalités triviales et quotidiennes du commun des mortels. Dans un sens, ce n'est pas plus mal mais d'un autre côté, cette démagogie grandissante est franchement perturbante parce qu'on finit par se demander si, de temps en temps, nos gouvernants demandent conseil aux véritables esprits. Non pas que les esprits soient détenteurs de la Vérité absolue, bien sûr que non mais comment s'enrichir, confronter des idées, réfléchir au fonctionnement de la société si on cherche pas à rencontrer ces gens là, ceux qui auparavant rêvaient de faire bouger les choses ? Ceux qui posaient les bonnes questions (ou même les mauvaises, mais au moins ils en posaient)? Ceux qui au risque de leur vie émettaient des critiques ? C'est grâce à eux que la société a progressé.

    Mais ils sont pourtant loin les esprits des Lumières ! Même s'ils ont été instrumentalisés par le pouvoir, ils avaient le mérite d'exister et de se manifester. Les adeptes du ballon rond ne sont pas de ceux qui nous feront évoluer mais  malheureusement ils font rêver une grande majorité d'une population de plus en plus paresseuse, gourmande de plaisirs faciles et immédiats. Ce qui est relativement normal pour les gens simples devient inquiétant lorsque ceux qui nous dirigent jouent à ce petit jeu du plus beau, du plus fort même s'il est le "plus con". Pourquoi irait-on essayer de s'élever lorsque le "ras des paquerettes" est tellement tendance, y compris chez les grands de ce monde ? Pourquoi irait-on se fatiguer à réfléchir alors que tout peut être si simple et si plaisant sans réflexion.

    On fabrique des gens incapables de réfléchir autrement que par l'immédiateté du plaisir, que par la proximité du rêve. Et si personne ne donne l'exemple, si personne ne tire la société vers le haut de temps en temps, la dégringolade est inéluctable. Elle semble déjà entamée d'ailleurs quand on s'attarde sur la pauvreté du vocabulaire et de culture de notre jeunesse qu'on dit pourtant "plus intelligente" que les générations précédentes... J'ai du mal à y croire... en revanche, cette jeunesse sera certainement très receptive à l'éradication de l'esprit et de l'intelligence qu'elle déteste tant. Et puis, après tout, au ras des paquerettes, il y a toujours un ballon rond donc tout va bien !

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