• Souvenir...

    Pourquoi ai-je repensé à lui ? Je me demande. Un des chemins mystérieux que prend parfois la pensée et qui nous amène on ne sait où on ne sait pourquoi. Il s'appelait Bruno. J'ai oublié son nom de famille et pourtant, deux fois par semaine pendant un an je lui ai écrit, il m'a répondu... C'était devenu un rituel. J'attendais avec impatience sa lettre qui arrivait en général le mercredi et le samedi... Comment j'étais entrée en contact avec lui ? Je ne m'en souviens plus vraiment non plus. J'avais passé une annonce pour trouver des correspondants, je crois... Mais pas des étrangers. Cela ne m'intéressait pas. J'avais besoin de contacts avec des gens de mon âge. Des Français car je n'étais pas là pour travailler l'anglais ou l'allemand mais simplement pour rencontrer des gens sympa. J'avais reçu 72 réponses à ma petite annonce qui disait que je cherchais des gens pour correspondre, sans plus. 

    Bien sûr, parmi les 72, il y avait quelques "bizarres" qui n'imaginaient pas un instant que je pouvais vraiment rechercher simplement une amitié et qui m'avaient donc parlé de leurs prouesses sexuelles, photos à l'appui parfois. Ceux-là, direction poubelle. Aucun intérêt. Ensuite, il y avait des lettres cousues de fautes d'orthographe, illisibles, écrites dans un français approximatif... Encore une fois, poubelle. Je ne doute pas un instant que ces gens pouvaient être gentils, sympathiques ou marrants mais quand on ne peut pas comprendre une lettre, difficile de correspondre. 

    Et puis, il y a eu Bruno... Une écriture agréable à lire. Peu de fautes. Un style. Il semblait sincère et solitaire... comme moi. Peu à peu, il est devenu mon confident, le seul, l'unique. Il avait 3 ans de plus que moi, je crois... c'est à dire en gros 21 ans. On se racontait plein de trucs, de tout, de rien... on s'écrivait des pages et des pages à chaque fois et jamais aucun malentendu entre nous. On était amis. C'était clair. Jamais de sous-entendus déplacés. Rien. Il était malheureux. Moi aussi. Il n'avait personne dans sa vie. Moi non plus. On se remontait le moral. On se disait qu'après tout on n'était pas pires que les autres même si on n'était pas tout à fait comme tout le monde, ni lui, ni moi. Il n'avait pas confiance en lui, ne trouvait pas de travail, n'avait pas de diplomes. Aucune fille ne s'intéressait à lui et celles qui le faisaient c'était plutôt pour profiter de sa gentillesse. Il me racontait ses malheurs et je l'écoutais, le conseillant de mon mieux et lui de même pour moi. Cet échange a donc duré plusieurs mois, sans un seul accroc... 

    Un jour pourtant, j'ai reçu une lettre tout à fait inhabituelle où il me disait qu'il se sentait très mal, qu'il n'avait plus envie de vivre, que sa vie était vraiment trop pourrie. Il m'a avoué qu'il souffrait d'une sorte de dépression profonde... qu'un jour peut-être il reprendrait contact avec moi. Il ne l'a jamais fait. 

    Je n'ai jamais vu son visage. Il n'a jamais voulu me montrer de photo. Il n'a jamais vu le mien. Nous ne nous sommes connus que par lettres interposées, un échange aussi riche qu'éphémère... une amitié virtuelle avant l'heure en quelque sorte. Qu'est-il devenu ? Je l'ignore. Je ne le connaissais finalement pas tant que ça, pas autant que je le croyais en tout cas. Sa lettre d'adieu (puisque finalement c'en était une), j'ai eu du mal à la comprendre et à l'accepter sur le moment mais c'était son choix, après tout. On ne retient pas les gens contre leur volonté... ils passent, s'installent et disparaissent de nos vies simplement comme ça. 

    Je garde de Bruno un souvenir ému, malgré tout car, il m'a beaucoup apporté pendant ces quelques mois, il m'a soutenue, je l'ai peut-être aidé aussi, à ma façon... Mais de Bruno, il ne me reste que des lettres, des mots soigneusement écrits sur des pages et des pages à l'encre bleue. Des mots que j'aimais recevoir. Des mots que j'attendais avec la même impatience chaque semaine. Des mots qui me rassuraient. Les mots d'un inconnu familier aux yeux de qui j'avais l'impression d'exister. Etions-nous des amis ? Ou bien était-ce simplement deux solitudes, deux désespoirs qui se sont croisés puis oubliés ?
    « Line Renaud et Muriel Robin - FugueusesProf de tout, prof de rien. »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 12:45
    Destins croisés, certes, mais oubliés ? La preuve que non.

    Quant à savoir si vous étiez des amis, je suis sûr que tu sais que vous étiez bien plus...
    2
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 16:59
    silvi
    Vous étiez probablement amis lors de votre correspondance........ mais la vie a fait que ......... va savoir peut-être qu'un jour il te reconnaitra -t-il sur la blogosphère ?

    Moi il m'est arrivée une histoire un peu inverse, 16 ans la rencontre d'un beau jeune homme, dans une soirée de nouvel an en Bretagne. Nous ne nous sommes jamais revus, mais il m'avait  envoyé une lettre super mignonne que j'ai toujours gardée, et un jours près de 23 ans plus tard, grâce à l'adresse au dos, j'ai réussi à le contacter. Il avait tout oublié ! ! Cette histoire a une suite, mais il serait trop long de la raconter maintenant.
    Bonne fin journée Bise
    3
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 22:16
    yoppodo
    je decouvre ton blog tres beau texte que cette histoire d'amitié ,voi d'amour sans retour?C'est si vrai tous ces destins qui se croisent
    cORDIALEMENT
    4
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 22:58
    domi
    ou un confesseur? apparemmment, deux solitudes qui se rencontrent et s'aident mutuellement, c'est déjà pas mal. Vous vous seriez vu en photo, ou en vrai, vous n'auriez certainement pas échangé autant...
    5
    mystic
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 14:52
    mystic
    tres belle histoire en effet qui laisse certaines questions en suspend
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