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Pardon- Claude François
Voici un commentaire que j'avais rédigé au sujet d'une de mes chansons favorites de Claude François:
« Pardon » est l’une des chansons les plus fortes de Claude… Peut-être la plus forte. Claude va très loin dans cette chanson splendide. Pour la petit histoire, c’est la chanson que Sylvie Mathurin demandait toujours à Claude lors de ses concerts, au point que c’en était devenu presque un jeu entre eux comme elle le raconte dans son livre « Le temps passe… le cœur reste… » : «Si Claude m’aperçoit et que son humeur oscille vers le beau fixe, il m’interprète Pardon, sinon, j’en suis privée. Les mauvais jours, il me prévient en quittant la loge d’un "Et ce n’est pas la peine de t’époumoner à me demander Pardon, je ne te la chanterai pas ". J’obéis mais discrètement et pour l’embêter je suggère aux fans, du bord de scène, de s’époumoner à ma place. Parfois il fait la sourde oreille, mais lorsque l’écho se fait trop pressant, il s’exécute. Et je m’amuse. »
En ce qui me concerne, je trouve que c’est une magnifique chanson qui a cette particularité que j’adore, comme « En attendant » d’ailleurs, d’aller crescendo dans la musique, dans la voix et surtout dans l’émotion.
Cela commence en apparence par un souvenir d’enfance presque banal. Une rencontre à l’école, un amour d’enfant sans doute. La voix de Claude est encore douce, la musique aussi. Seule la répétition du mot «pardon», du titre donc, nous donne l’impression d’un malaise, encore impalpable à ce moment de la chanson. Il nous raconte ensuite le souvenir d’une histoire d’amour de son origine à son aboutissement. Avec ce mot, « pardon » qui revient à chaque étape, refrain lancinant comme sa douleur. La rencontre, les lettres d’amour à l’encre violette, les promesses d’un amour éternel gravé comme les deux noms mais malgré tout à sens unique (c’est Claude qui agit, qui écrit, qui grave, qui suit la fille). Et puis le premier refrain, « pardon d’en souffrir, pardon d’en pleurer ». Souffrance et chagrin, normal …presque banal aussi. Une histoire d’amour qui finit mal comme tant d’autres…
Mais il y a ensuite une montée en puissance qui ne cessera pas car à la fin de la chanson, le cri de Claude continue, infini …comme son amour. Les mots de cette chanson vont très loin. Même au début, les pages arrachées sont comme un signe (Claude prononce le mot «arrachées» d’une telle façon que l’on ressent la souffrance de l’être à qui on a arraché son amour… il arrachait des pages pour le prouver, il osait écrire l’amour et se faisait presque violence pour le faire et là, on lui arrache le cœur et on le piétine). Le deuxième refrain reprend une partie du premier mais va beaucoup plus loin dans la douleur «pardon d’en souffrir, pardon d’en pleurer, pardon d’en mourir, pardon d’en crever». Pleurer ne suffit pas, mourir non plus. Il en crève. Ce verbe est incroyablement fort et surtout interpelle dans le répertoire d’ordinaire si «positif» de Claude. Pourquoi ce verbe «crever» ? Sans doute parce que dans un tel état de désespoir, on ne peut même plus mourir, la mort est presque trop douce. On en crève parce qu’on a le cœur éclaté. Chaque partie de notre corps n’est plus que souffrance, comme si l’explosion avait balancé les éclats du cœur meurtri partout en nous. Chaque particule de notre être n’est plus qu’une blessure douloureuse, impossible à calmer.
L’image du fantôme qui viendra hanter l’être aimé est forte elle aussi. Ce fantôme qui «passera sa mort» à ses côtés à défaut d’avoir pu y passer sa vie. Ultime et éternelle punition qu’il inflige à la «traîtresse» ou façon de refuser de quitter celle qu’il aime ? Passer sa mort, c'est-à-dire l’éternité, comme une âme perdue aux cotés de celle qui n’a pas voulu de lui, qui l’a détruit sciemment, délibérément. C’est un destin auquel il est prêt car de toute façon, il le dit cet amour ne veut pas mourir. Il est hanté par cet amour, hanté par une souffrance qui est devenue sa seule compagne mais qui ne disparaîtra pas avec sa mort. Comme si la condamnation au mal d’aimer était une condamnation à perpétuité.
Mais pourquoi pardon ? Il en vient à présenter des excuses pour TOUT ce qui touche de près ou de loin à son amour. Il en vient même à renier sa propre existence dans cette phrase sublime «Pardon pour ce ventre de mère qui m’a porté et pour ce jour maudit où je suis né». On voudrait effacer toute trace de notre existence malade… parce que l’autre nous a fait comprendre qu’on n’est qu’une quantité négligeable et qu’il ne s’en plaindrait pas si on disparaissait pour de bon. Dans des cas semblables, celui qui piétine et qui abandonne ne supporte pas la douleur de l’autre. Elle le renvoie à sa responsabilité et l’amène à se sentir coupable. Et comme il ne supporte pas ce sentiment de culpabilité, il finit par renier l’existence même de celui qui souffre. Pourquoi ? Parce qu’il a envie d’être heureux dans sa nouvelle vie et qu’il souhaiterait que son ancien amour partage ce bonheur ou bien, s’il en est incapable, qu’il ait au moins la courtoisie de disparaître définitivement.
On regrette tout, y compris les choses qui paraissaient si belles telles que la lune, la déclaration d’amour sur le banc, la première nuit d’amour. On s’excuse de les avoir imposées à l’autre qui les a jetées au panier sans un regret, sans un remords. On s’excuse de s’en souvenir encore, de vouloir les conserver comme d’ultimes souvenirs et surtout on s’excuse d’en souffrir à ce point parce qu’on sent tellement que notre souffrance dérange… Pourquoi ne peut-on pas, nous aussi tirer un trait sur le passé ? Pourquoi savons nous que jamais cette blessure ne guérira complètement alors que l’autre se souvient à peine de notre existence et qu’il nous oublie rapidement dans d’autres bras ? Ce pardon pourrait être ironique ou provocateur, sorte de dernier sursaut avant la fin. Mais non, je crois qu’il est sincère. Piétiné, on se rabaisse au point de prendre à notre compte tout ce qui peut arriver. Peut-être afin d’avoir au moins l’impression d’avoir laissé une trace dans la vie de l’autre aussi. Il arrive qu’on regrette vraiment d’importuner l’autre avec nos sentiments si forts et si mal compris et même dénigrés. On en finit par se demander à quoi ça sert d’être venu au monde si c’est pour souffrir à ce point ? Je comprends qu’on puisse ainsi maudire le jour de sa naissance quand on a l’impression que l’être pour qui l’on vivait s’en fout tellement, quand il a tout oublié en un éclair, qu’il ne lui reste rien de ce qui faisait un NOUS qu’il a rayé de son existence à tout jamais.
Et puis, ce sentiment d’incompréhension auquel on se heurte à chaque instant. Tous ces gens qui viendront toujours dire que ça passera, que c’est peut-être mieux ainsi, qu’il faut tirer un trait sur tout ça, pour notre bien. Mais le trait, on ne peut plus le tirer car celui (ou celle) qu’on aime a déchiqueté ou brûlé le cahier de notre vie, celui sur lequel l’histoire d’amour s’était dessinée à l’encre violette. Alors où le tirer ce trait ? Comment refaire une vie que l’on n’a plus ? On se sent coupable de l’avoir perdue, de l’avoir rêvée, de l’avoir gâchée pour quelqu’un qui peut-être n’en valait pas la peine. Oui, on demande pardon d’être incapable d’oublier, d’être la victime éternelle des douleurs passées. On demande pardon de ne pas avoir cette volonté qui pousse vers l’avant, vers l’avenir. «D’autres l’ont bien, pourquoi pas moi ?» On demande pardon d’avoir pensé à la mort parce que la vie ne tenait plus à rien. Pardon aussi d’avoir souhaité mourir et devenir pour l’autre un fantôme afin de lui rappeler sans cesse qu’il nous a détruit. Quitte à lui dédier une lettre, un jour quand ce sera trop dur.
On a conscience que rien ne sert plus à rien parce qu’on a tout perdu. Et toujours lancinante cette douleur qui nous aveugle et qui nous culpabilise parce que, peut-être qu’on exagère, parce que sans doute il y a plus malheureux que nous. On se sent coupable d’y penser, d’en parler, d’en souffrir et d’en pleurer. Et parfois même on essaie de faire semblant de ne plus y penser afin de ne pas en souffrir ni en pleurer, surtout pas. «J’suis pas du genre à pleurer moi… ». Et pourtant, il aurait fallu…peut-être.
Alors soit on en crève comme dit Claude, soit on joue à celui qui se reconstruit. On joue. Mais comment reconstituer ce cœur explosé de douleur ? Comment était-ce avant ? On ne s’en souvient même plus…Pièce après pièce, on essaie de lui redonner une forme acceptable, semblable à ceux des gens heureux, mais pardon de ne pas y arriver parce que dans chaque pièce, un pan du passé se rappelle à notre souvenir et voilà pourquoi cet amour ne peut pas mourir, voilà pourquoi il errera toujours comme un fantôme auprès de ce qui aurait pu être notre vie. Si seulement … A moins qu’on ne soit qu’une sorte de mort vivant, qui ne tient debout que grâce à cet amour qui ne veut pas mourir.
Tags : pardon, chanson, claude françois, cloclo
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Commentaires
Bises.
Claude.